Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

Amérique latine (suite)

Le second élément caractéristique de la structure foncière actuelle est la minuscule propriété, dont l’exploitation constitue l’unique ressource des familles paysannes. Ces parcelles sont d’origines diverses. Dans certaines régions, en particulier au Pérou, sous l’influence du principe de propriété individuelle apporté par les conquistadores, les communautés indiennes procédèrent au partage des terres collectives, épargnées par la colonisation. Par la suite, le morcellement s’accentua du fait des partages de successions. Il se traduit aujourd’hui par ces multiples minifundia, dont les rendements dérisoires n’assurent aux hommes que de précaires moyens de subsistance. Dans d’autres régions, tel le Nordeste brésilien, la très petite propriété date de l’abolition de l’esclavage à la fin du siècle dernier : Noirs et métis quittèrent les plantations où ils travaillaient comme esclaves pour s’installer sur des parcelles restées libres, en marge des grands domaines. Là encore, des partages successifs aboutirent à un morcellement extrême. Quelle que soit d’ailleurs leur origine, ces minuscules propriétés présentent le même caractère d’exploitation : de médiocres cultures vivrières, des méthodes rudimentaires de mise en valeur.

Si la très grande et la très petite propriété sont les éléments fondamentaux de la structure foncière, la moyenne propriété n’en est cependant pas absente. On trouve quelques îlots de ce type de propriété de 20 à 40 ha en Argentine, dans le sud du Brésil et la partie tempérée du Chili, qui reçurent à la fin du xixe s. l’afflux des colons d’origine européenne, notamment italiens et allemands.

• Les types de propriété et leur mise en valeur. Les grands propriétaires fonciers ne représentent qu’une intime fraction de la population, mais ils détiennent la plus grande part des espaces agricoles. Ainsi, au Paraguay, les immenses latifundia de plus de 100 000 ha occupent 43 p. 100 des terres. Au Pérou, 4 p. 100 des exploitations détiennent plus de 60 p. 100 de la superficie cultivée. En Colombie, 1,3 p. 100 des exploitations occupe près de la moitié des terres arables. En Équateur, au Guatemala, environ 0,5 p. 100 des propriétaires possèdent près de la moitié du sol. En Argentine, où le passé colonial pèse pourtant moins lourdement sur les structures actuelles, moins de 1 p. 100 des exploitations couvre plus du tiers de l’espace cultivé. La structure foncière du Brésil offre plus de variété ; néanmoins, elle est également dominée par la grande propriété, qui culmine dans le Mato Grosso, où les exploitations de plus de 200 ha occupent 98 p. 100 des terres cultivées ; dans le Nordeste, elles occupent entre 40 et 70 p. 100 du territoire, le reste se répartissant entre les toutes petites propriétés.

À cette minorité de grands propriétaires fonciers s’oppose l’immense majorité des petits exploitants, qui détiennent la fraction la plus faible et la moins rentable de l’espace agricole. Ainsi, près de 90 p. 100 des propriétaires possèdent 16,6 p. 100 des terres en Équateur et seulement 7,4 p. 100 au Pérou, en particulier les terres les plus difficiles à exploiter, telles les pentes andines. Au Brésil, les minuscules propriétés sont situées essentiellement sur les terres tropicales de la zone des plateaux.

C’est seulement dans les zones de moyenne propriété que s’est développée une économie agricole solide. Ailleurs, les défauts du cadre agraire se reflètent dans les faiblesses de l’économie agro-pastorale : la grande propriété est le cadre d’une économie spéculative, sujette aux crises ; la très petite propriété ne connaît qu’une maigre polyculture d’autosubsistance, aux procédés archaïques.

1. La monoculture extensive dans les grandes propriétés. Jusqu’à une époque récente, l’exploitation de la grande propriété était organisée en fonction du profit immédiat qu’assurait la commercialisation d’un ou de quelques produits destinés au marché international. Le souci de produire aux moindres frais se traduisait par l’utilisation d’une main-d’œuvre abondante et très peu rémunérée, l’absence d’investissements productifs (engrais, mécanisation) permettant l’augmentation des rendements, l’utilisation de techniques archaïques aboutissant au gaspillage des sols.

La mise en valeur de ces haciendas traditionnelles se fait selon la méthode primitive du brûlis : une partie du domaine est défrichée et ne reçoit comme seul engrais que les cendres des arbres abattus ; puis l’on procède pendant plusieurs années à la culture d’une même plante. Lorsque le sol est épuisé, le cycle se reproduit sur une autre partie du domaine. Ce système de monoculture extensive aboutit à un grave gaspillage de sols déjà fragiles et ne donne que des rendements extrêmement médiocres. Il domine surtout les régions de canne à sucre de la Colombie, du Venezuela et du Nordeste brésilien, ainsi que la zone cacaoyère de la plaine de Guayaquil, en Équateur.

Le mode de rémunération de la masse des travailleurs est variable. Souvent, en échange de trois ou quatre jours de travail sur le domaine, l’ouvrier agricole reçoit un lopin de terre sur lequel il peut demeurer avec sa famille et pratiquer quelques maigres cultures vivrières pour sa consommation personnelle. La rétribution en espèces, parfois pratiquée dans les haciendas traditionnelles, ne contribue pas à l’élévation du niveau de vie de l’ouvrier agricole : ainsi, dans les haciendas isolées, celui-ci ne peut s’approvisionner qu’au bazar intégré à l’exploitation ; il y laisse la totalité de son salaire et, fréquemment, est même contraint de s’endetter au profit du propriétaire foncier.

Dans les plantations de café de la zone de São Paulo, l’ouvrier perçoit un salaire mensuel et peut cultiver pour son propre compte quelques céréales entre les plants de caféiers. Dans les plantations de canne à sucre des Antilles, le métayage est fréquent, et la rétribution est constituée par une partie de la récolte. Mais, quelle que soit leur nature, les ressources du travailleur agricole sont toujours dérisoires.