Gracques (les) (suite)
Les interprétations
Les deux brèves carrières des Gracques ont fini de la même façon : leur cadavre fut jeté dans le Tibre. La répression fit périr 300 personnes après la chute de Tiberius, 3 000 après celle de Caius. Il apparaît une disproportion surprenante entre la législation en question et l’ardeur des passions, l’atmosphère d’illégalité, de révolution de certaines journées.
Le sang ayant coulé, l’histoire des Gracques a laissé dans l’Antiquité une impression de scandale. On distingue dans les réactions des Anciens deux traditions : l’une populaire et favorable, l’autre aristocratique et violemment défavorable, mais avec quelques nuances. Tite-Live est hostile, mais il admet la pureté des intentions de Tiberius. Cicéron aussi, mais son opinion n’est pas tout à fait la même selon qu’il s’adresse au peuple ou au sénat ! Plutarque voit en Tiberius un démagogue entraînant le peuple à la révolte. Appien, moins passionné, le considère comme un loyal défenseur de la cause italienne. Le peuple lui-même s’est montré d’abord ingrat. La chute des Gracques a été causée en partie par l’instabilité de l’opinion publique, troublée en la circonstance par la sympathie de Caius à l’égard des Italiens, avec lesquels la plèbe urbaine ne voulait pas partager les privilèges liés au droit de cité. Ensuite on les regretta. On leur dressa des statues qu’on couronnait de fleurs et devant lesquelles on sacrifiait. Cette attitude ne fut ni durable ni partagée par tous : la preuve en est qu’il ne reste rigoureusement aucun vestige iconographique des fameux tribuns.
Depuis, ceux-ci ont été les bénéficiaires d’une idéalisation socialisante qui a connu son sommet sous la Révolution française (Caius Gracchus, tragédie de Marie-Joseph de Chénier, 1792 ; prénom de Babeuf). On a confondu leur partage des terres de l’ager publicus avec la redistribution des richesses, et les passions modernes ont pu se déchaîner à leur tour.
Les historiens contemporains ont apporté aussi leurs prises de position. Jérôme Carcopino a insisté sur le socialisme stoïcien qui a trouvé en Tiberius un disciple convaincu ; il a vu en Caius un précurseur incompris qui aurait évité le césarisme. Claude Nicolet souligne, lui, l’influence des idées hellénistiques de philanthropie et de souveraineté populaire sur les projets de Caius. Pour D. C. Earl, Tiberius a songé essentiellement à remédier à la crise de recrutement de l’armée en augmentant le nombre des censitaires mobilisables.
R. H.
J. Carcopino, Autour des Gracques (Les Belles Lettres, 1925 ; 2e éd., 1967). / D. C. Earl, Tiberius Gracchus. A Study in Politics (Palais des académies, Bruxelles, 1963). / C. Nicolet, les Gracques (Julliard, coll. « Archives » 1967).