Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
G

Gonçalves (Nuno) (suite)

En outre, la qualité de la peinture est exceptionnelle. Avec la technique flamande à l’huile sobrement et savamment employée, l’éclat des tons vifs — les rouges, les verts, les brocarts d’or sonnant parmi les manteaux sombres des vieillards et les blancs neigeux des robes monastiques — suffirait à produire un effet de choc. Mais la rigueur de ces visages osseux, largement sculptés et burinés, disposés en frises serrées sur plusieurs étages, en style de tapisserie, sans espace, sans décor, atteint une majesté monumentale insolite. C’est à Van der Goes* que le polyptyque fait le plus songer. Cependant sa densité, sa splendeur austère restent uniques dans l’Europe du xve s.

Seuls cinq panneaux du musée de Lisbonne (dont trois, Saint Théotone, Saint Pierre et Saint Paul, proviennent de São Vicente de Fora) se rattachent au style du polyptyque. Le Maître de São Vicente avait-il, comme le pensait Figueiredo, donné les modèles des tapisseries qui relatent la conquête d’Arzila en 1471 et sont conservées aujourd’hui en Espagne, à Pastrana ? Peut-être, mais, si belles qu’elles soient, ces tapisseries n’ont ni l’accent ni l’émotion du polyptyque. Nuno Gonçalves ou non, le Maître de São Vicente — comme à la même époque le peintre de la Pietà de Villeneuve-lès-Avignon — reste un sommet isolé et une énigme.

P. G.

 J. de Figueiredo, O pintor Nuno Gonçalves (Lisbonne, 1910)

Gonçalves Dias (Antônio)

Poète brésilien (Caxias, Maranhão, 1823 - mort dans un naufrage près de Guimarães, Maranhão, 1864).


Fils bâtard d’un Portugais et d’une métisse négro-indienne, il parvient, malgré les difficultés financières, à terminer ses études de droit à Coimbra (1845). De retour au Brésil, il se voit refuser, du fait de sa condition raciale, la main de la jeune fille qu’il aimait. Journaliste et professeur, admis à la Cour, érudit, participant à plusieurs missions officielles ethnographiques et culturelles, au Brésil et en Europe, il publie un Dictionnaire de la langue tupi (1858).

C’est au Portugal que cet écrivain, chronologiquement le premier grand romantique brésilien, débute dans la littérature avec deux drames historiques : Patkul (1843) et Beatriz Cenci (1844), suivis de Leonor de Mendonça (1847) et de Boabdil (1850), écrits au Brésil. Ces pièces n’ont jamais été représentées, bien que les qualités de Leonor de Mendonça, la seule publiée de son vivant, en fassent le meilleur drame historique du romantisme brésilien.

Le nom de Gonçalves Dias est lié à l’indianisme, forme brésilienne du nationalisme romantique, symbole de l’indépendance spirituelle, politique, littéraire du pays. L’Indien, thème déjà enraciné dans la littérature populaire, apparaît chez lui dans les « poesias americanas », dispersées parmi les recueils de Primeiros cantos (1846), Segundos cantos (1848), Ultimos cantos (1851), dans quelques poèmes posthumes et notamment dans le poème épique inachevé Os timbiras. De ce poème, espèce de Genèse américaine, seules les quatre premières parties ont été publiées (1857), le reste ayant disparu lors de son naufrage. Les poèmes les plus connus de l’auteur appartiennent à ces « poésies américaines ».

L’indianisme comprend les genres lyrique et épique. Le poète décrit la lumineuse nature américaine et peint les Indiens de façon pathétique. À maint égard, ils ne représentent que des symboles d’une civilisation éteinte, ce qui montre bien le caractère idéaliste de la vision indianiste de Gonçalves Dias, n’excluant pas un aspect politique positif. Les fragments en prose des Meditações (réunis après sa mort) révèlent le cri du poète contre ceux qui ont rendu esclaves les Indiens et les Noirs, annonçant les poètes de la dernière phase du romantisme, qui défendront la cause des Afro-Brésiliens.

Mais l’indianisme n’est qu’un des aspects de l’œuvre de ce poète. On distingue déjà, dans Primeiros cantos, l’orientation qu’il donnera à la suite de son œuvre : la poésie nostalgique, la poésie du lyrisme amoureux, la poésie autobiographique, sans compter la poésie américaine. Intégré aux courants poétiques européens, modernes, Gonçalves Dias en a cultivé les thèmes favoris : l’amour, la foi chrétienne, l’introspection, le sentiment de la nature. C’est dans les poèmes de lyrisme amoureux et d’autoportrait moral qu’il réussit le mieux, grâce à la sincérité de son émotion. Ainsi, il parvient à créer de merveilleux poèmes romantiques d’amour. On trouve quelques comparaisons dans un style direct et simple, fort descriptif.

Le deuxième recueil, mieux accompli, paraîtra avec autant de succès que le premier. Il sera suivi de Sextilhas de frei Antao (1848), un « essai philologique » selon l’auteur, qui attribue cet ouvrage à un prêtre du début du xviie s. Il s’agit d’un poème en six chants, dont le sujet, le langage et la forme sont d’inspiration médiévale portugaise. Le poète y recrée les chansons des troubadours. C’est le même sentiment de recherche lyrique du passé que l’on retrouve dans les poèmes indiens.

Parfaitement maître des règles de la poésie portugaise, l’écrivain les pratique toutes avec aisance. Il aime changer de mesure et de rythme, faisant porter ces variations soit sur l’ensemble d’un ouvrage, soit sur chaque poème, créant ainsi un rythme brésilien propre, remarquable par sa musicalité. Celle-ci et le pouvoir de suggestion de son vers laissent pressentir le symbolisme.

Le mérite de Gonçalves Dias, le plus complexe des poètes romantiques de son pays, a été de créer une littérature brésilienne en chantant des thèmes propres au Brésil. Poète et précurseur, on trouve déjà dans son œuvre les caractéristiques des courants littéraires qui lui succéderont.

L. P. V.

 C. Ricardo, « Gonçalves Dias e o indianismo » dans A Literatura no Brasil (sous la dir. de A. Coutinho) [Rio de Janeiro, 1955-1957 ; 3 vol.].