Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

aménagement du territoire (suite)

Il fut de mode, un temps, dans le monde socialiste et dans certains pays d’Europe occidentale, de mettre en rapport le sous-développement régional et la prolifération des activités tertiaires, que l’on considérait comme parasites. On s’efforçait donc de lutter contre les déséquilibres de croissance en mettant sur pied une politique réaliste des implantations industrielles. En provoquant la dispersion des usines, en les plaçant dans des régions rurales ou dans des cités petites ou moyennes, on devait arriver, pensait-on, à enrayer la désertion des régions les plus pauvres et à égaliser les chances de toutes les parties de l’espace national. L’idéologie qui préside aux expériences d’aménagement du territoire dans nombre de pays socialistes demeure de ce type. On essaie de répartir aussi également que possible la population et les niveaux d’existence au sein du pays en agissant sur les activités secondaires. Ici, on met en place des complexes qui exploitent les ressources naturelles dans un milieu riche en matières premières, mais jusqu’ici peu exploité. Ailleurs, on attire des industries légères pour occuper une main-d’œuvre d’origine rurale surabondante dans des milieux mal doués.

Dans les pays occidentaux, on a pris conscience plus tôt des limites de l’efficacité de ces politiques. On s’est aperçu d’abord que les résistances à la localisation autoritaire étaient grandes. La main-d’œuvre refuse généralement de se déplacer en bloc. Les mouvements de migration sont presque toujours de nature individuelle. Les régions rurales se sont révélées très répulsives, de même que certaines petites villes. Les espaces périphériques, ceux qui sont mal situés par rapport aux secteurs les plus actifs de la nation, se trouvent systématiquement oubliés. Fait-on un effort spécial en faveur de ces zones, comme c’est par exemple le cas depuis de nombreuses années pour le Mezzogiorno italien ? Les régions qui bénéficient le plus directement de l’effort sont celles qui sont déjà industrialisées, car elles sont mises à contribution pour fournir les biens d’équipement nécessaires aux opérations.

Là même où l’action sur l’emploi industriel est efficace, on s’aperçoit qu’elle ne suffit pas à résoudre les problèmes de déséquilibre. On évite parfois l’entassement de la population dans certaines aires urbaines, mais on ne parvient pas à éviter la concentration des moyens de commandement ; certains espaces conçoivent, dirigent et attirent une portion croissante des élites ; d’autres exécutent, réussissent à se développer en nombre, mais s’appauvrissent qualitativement.

On a fait porter tout l’effort sur l’implantation des activités industrielles : on a eu tort. C’est à ces conclusions que l’on est parvenu dans un certain nombre de pays européens aux environs de 1960. L’action sur les implantations industrielles, qui avait été inspirée par les mesures proposées dans l’Angleterre des années 30 pour faire sortir du marasme les bassins houillers, doit être complétée par d’autres ou remplacée par elles. On commence à s’interroger sur le rôle des activités tertiaires dans l’équilibre spatial. On redécouvre les travaux des théoriciens des lieux centraux et l’on cherche l’origine des déséquilibres actuels dans l’imperfection des réseaux urbains que nous a légués le xixe s. L’aménageur devient un thérapeute des hiérarchies urbaines. Dans le cas de la France, par exemple, on attribue le gigantisme de l’agglomération parisienne à la médiocrité des capitales régionales du reste du pays. Ne trouve-t-on pas en Italie et en Allemagne des villes vigoureuses dont la population avoisine le million d’habitants et dont le dynamisme est une des clefs de l’expansion générale ? Qu’est-ce que la France peut présenter de comparable ? Lyon et, à un moindre degré, Marseille, mais tout le reste est beaucoup plus menu, même lorsque la population totale, comme à Lille-Roubaix-Tourcoing, peut faire illusion. On décide donc d’articuler toutes les opérations d’aménagement de l’espace sur une action en faveur des métropoles d’équilibre.

On peut se demander si la réflexion sur les enchaînements spatiaux a été poussée assez loin en France. L’image à laquelle on se réfère toujours implicitement lorsqu’on essaie de défendre l’idée d’une action rééquilibrante est celle que la trame urbaine est bonne si elle dessine des configurations régulières à la surface de la terre — c’est en rendant sa perfection à l’armature des villes que l’on arriverait à définir l’organisation optimale de l’espace. Les recherches contemporaines remettent un peu cela en cause. Les villes se développent beaucoup plus en fonction de leurs spécialisations à l’échelle d’un espace national qu’en raison de leur rôle territorial proche. Les réseaux urbains qui se mettent en place sous nos yeux ne se présentent généralement pas sous la forme d’une pyramide harmonieuse. Les agglomérations urbaines ont tendance à se regrouper par grandes zones mégalopolitaines. N’est-ce pas en agissant sur la configuration de ces zones, en veillant à leur équipement, en évitant leur congestion que l’on parviendra le plus facilement à accélérer la croissance, tout en offrant aux gens le cadre qui leur convient le mieux ?

Ce sont évidemment des questions que se posent un peu partout les responsables des actions d’aménagement. Ils se rendent compte que l’efficacité à long terme de leur action dépend avant tout de la compréhension des mécanismes qui déterminent la répartition des hommes et des activités à la surface de la terre.


Les méthodes d’aménagement

Il fut une époque où les problèmes d’aménagement territorial paraissaient simples. Il suffisait d’élaborer des cartes indiquant à quel endroit devait s’établir telle ou telle activité. Les urbanistes donnaient l’exemple avec leurs plans de zonage. Les écologistes employaient des démarches analogues lorsqu’ils essayaient de sauvegarder les équilibres naturels : ne dessinaient-ils pas des réserves, des zones en défens ? Ne demandaient-ils pas une réglementation très précise de l’usage du sol, de manière à éviter les nuisances multiples ? Il fut un temps où le travail de l’aménageur était essentiellement celui de la planification physique. D’ailleurs, lorsque l’inspiration était purement doctrinale, pouvait-il en aller autrement ? N’était-ce point sur la planche du dessinateur que l’on pouvait choisir les ordonnances les plus propres à mêler la nature à la ville ou à éviter la multiplication des pollutions ?