Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
G

géométrie (suite)

Prédominance de la géométrie projective

Dans le sixième de ses Memoirs on Quantics (1859), Arthur Cayley (1821-1895) donne aux relations métriques une signification projective par l’introduction dans le plan projectif réel d’une conique distinguée, appelée l’absolu, et par l’utilisation du birapport. En 1871, Klein montre que la géométrie de Lobatchevski correspond au cas où l’absolu est une conique réelle non dégénérée (une quadrique réelle non réglée dans l’espace). Peu étudiée jusque-là, la géométrie elliptique correspondait au contraire au cas d’une conique imaginaire (une quadrique imaginaire non dégénérée dans l’espace) : le plan à l’infini de l’espace euclidien a une métrique elliptique. Le plan euclidien correspond au cas où l’absolu dégénère en deux points imaginaires conjugués à l’infini (points cycliques). Déjà, en 1853, Edmond Laguerre (1834-1886) avait ramené la mesure d’un angle euclidien au birapport de ses deux côtés et de deux droites isotropes. Pour l’espace euclidien, l’absolu dégénère en une conique imaginaire à l’infini, l’ombilicale.

Ainsi, le cycle se referme. La géométrie projective introduite par Desargues et Poncelet dans l’édifice euclidien, libérée et rendue autonome par les efforts de von Staudt, domine désormais non seulement la géométrie euclidienne, mais les autres géométries métriques. Ce phénomène s’insère dans la grande évolution des mathématiques vers la linéarisation des problèmes. Il est à rapprocher de l’apparition des espaces vectoriels et du rôle joué en nouvelle géométrie euclidienne par le « produit scalaire », au détriment de la notion d’angle.


Les groupes

Cependant, l’algèbre a donné naissance à la théorie des groupes, qui se révèle envahissante, et, en octobre 1872, Felix Klein fait connaître le programme d’Erlangen, Vergleichende Betrachtungen über neuere geometrische Forschungen, où il met fortement en évidence le rôle primordial des groupes de transformations en géométrie. Désormais, une géométrie est l’étude des figures qui ne sont pas altérées par les transformations appartenant à un certain groupe.

La géométrie projective a pour groupe fondamental celui des colinéations qui fait correspondre des droites à des droites et des plans à des plans. Le groupe de la géométrie affine est un sous-groupe du précédent qui laisse invariant un certain plan, le « plan de l’infini ». Les groupes des géométries elliptique et hyperbolique sont formés des colinéations qui laissent invariants leurs « absolus ».

Le groupe de la géométrie conforme laisse invariant l’ensemble plans-sphères de l’espace euclidien. L’espace conforme est l’espace euclidien complété non par un plan, comme pour l’espace projectif, mais par un point.


Géométries non archimédiennes

Toutes les géométries étudiées jusque-là se ramènent par leurs expressions analytiques à des espaces affines ou projectifs construits sur le corps ℝ des nombres réels ou sur le corps ℂ des nombres complexes. Giuseppe Veronese (1854-1917) creuse le problème plus avant, mettant ainsi en relief le rôle joué dans les fondements par l’axiome d’Archimède. Ses Fondamenti di Geometria, de 1891, montrent qu’à la base des diverses géométries se retrouve la notion de corps ordonné de nombres, mais que le corps n’a nul besoin d’être archimédien : étant donné a et b éléments positifs du corps, a < b, il peut se faire que pour tout n entier naturel n a soit inférieur à b. On obtient alors des espaces assez déconcertants pour l’intuition, mais dont l’existence logique est indéniable.


Hilbert et l’axiomatique

Pour savoir ce qu’il y a lieu d’admettre et ce qu’il faut démontrer, David Hilbert* (1862-1943), s’inspirant d’ailleurs de ses devanciers, donne en 1899 ses Grundlagen der Geometrie.

Il n’y développe pas une nouvelle axiomatique de l’espace euclidien, mais il analyse celle d’Euclide lui-même, qu’il éclaire, précise, complète et à laquelle il confère un caractère abstrait. Après avoir affirmé l’existence d’êtres abstraits appelés points, droites et plans, il donne sept axiomes d’association, dont il montre l’indépendance, cinq axiomes d’ordre, l’axiome des parallèles, six axiomes métriques ou de congruence, où la notion d’angle joue un rôle essentiel, l’axiome d’Archimède et, dans les éditions ultérieures, un dernier axiome dit « d’intégrité ». Avec Hilbert, la géométrie euclidienne perd ainsi tout caractère intuitif et se range comme toutes les parties des mathématiques pures sous les lois de l’axiomatique.

Le jeu axiomatique a un grand avantage de clarification. En ne gardant que tels ou tels axiomes, en modifiant tel ou tel autre, on obtient des géométries différentes dont il faut ensuite montrer la non-contradiction interne, ce qui reste souvent le plus délicat.


Géométrie infinitésimale

L’étude des courbes et des surfaces de l’espace euclidien a joué un rôle capital au xixe s. et encore au xxe s., tout au moins dans sa première moitié. Elle commence avec la monumentale Application de l’analyse à la géométrie (1795) de Monge et se poursuit, après cette œuvre magistrale, par les Développements de géométrie (1813) de Charles Dupin (1784-1873). Un court mais très élégant travail de Gauss, Disquisitiones generales circa superficies curvas (1827), est capital pour l’histoire de la notion d’espace. Gauss y exprime l’élément infinitésimal de la longueur d’un arc de courbe tracé sur la surface au moyen de deux variables indépendantes et de leurs différentielles :
s2 = E d p2 + 2 F d p . d q + G d q2.

Ayant introduit la notion de courbure de la surface, il montre que, pour trouver la mesure de la courbure, on n’a pas besoin de connaître les coordonnées en fonction des indéterminées p et q, mais qu’il suffit d’avoir l’expression générale de la quantité d s. « Les considérations que nous venons d’exposer, ajoute-t-il, se lient à un mode particulier d’envisager les surfaces qui nous paraît digne de fixer l’attention. En effet, si l’on considère une surface non comme la limite d’un solide, mais comme un solide flexible et inextensible dont une dimension s’évanouit, les propriétés de la surface seront en parties absolues et invariables quelle que soit sa forme. C’est à cette sorte de propriétés, dont l’étude ouvre à la géométrie un champ nouveau très vaste, que se rapporte la mesure de la courbure. »