Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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géographie (suite)

Il est un domaine où le jeu des facteurs qui dépendent du climat est encore plus faible : c’est celui de l’organisation structurale du Globe. Les forces en jeu dépendent essentiellement des mouvements profonds et des tensions au sein de l’écorce terrestre. On a depuis longtemps mis en évidence les voies par lesquelles s’élaborent les formes de petites dimensions (plis, failles, volcans et masses intrusives). On a mis plus longtemps à comprendre la nature complexe du métamorphisme. On a buté jusqu’à ces vingt dernières années sur l’interprétation des formes de très grandes dimensions (chaînes de montagnes, grands bassins sédimentaires, régions de socles). Les hypothèses les plus contradictoires avaient cours, sans que l’on pût les infirmer ou les confirmer. L’océanographie a fait d’énormes progrès depuis quelques années : en dressant la carte des fonds sous-marins, on a découvert de grandes dorsales au milieu des bassins océaniques ; l’étude de leur évolution, que le magnétisme terrestre rend relativement aisée, a montré que la surface de la Terre était faite de plaques qui s’accroissaient au niveau des dorsales ; toute la dynamique de la mise en place des continents et des grandes unités de structure et de relief s’éclaire alors.

Les forces profondes créent de la sorte des unités de très grande dimension : chaînes de montagnes, plateaux, plaines, surfaces, plateaux continentaux, bassins, fosses. Les seules autres forces qui peuvent créer des ensembles d’échelle analogue sont celles qui régissent les mouvements des masses d’eau ou d’air. En matière d’hydrologie marine, ou de temps, les conditions locales ne jouent qu’un rôle second : l’essentiel tient à la rotation de la Terre, à l’incidence variable du relief. On conçoit donc l’intérêt que l’on porte au facteur climatique zonal en géographie naturelle ; les forces internes ont donné naissance à des configurations complexes, apparemment irrégulières, à la surface du Globe ; le déplacement des masses d’air et des masses d’eaux marines aboutit au contraire à des configurations qu’il est possible d’expliquer à partir de quelques lois simples.


La géographie zonale et ses limites

Cela justifie la manière dont s’articulent les études de géographie naturelle : tous les aspects de la physionomie de la Terre dépendent du climat, mais le lien est d’importance très inégale. La géographie botanique, la géopédologie, la géomorphologie se divisent en deux secteurs : l’un où on s’attache aux processus azonaux, l’autre dans lequel on observe les incidences de l’insolation, des températures et des précipitations. L’équilibre des deux parties est différent selon les disciplines : l’aspect climatique est essentiel en géopédologie, il tient un peu moins de place en botanique (les conditions de propagation des espèces, la manière dont elles entrent en concurrence peuvent seules faire comprendre les répartitions observables). Pour l’évolution du relief, les facteurs structuraux et les processus azonaux sont souvent déterminants.

Au niveau des répartitions naturelles, peut-il y avoir une véritable géographie régionale ? Les différentes répartitions se regroupent-elles dans des aires bien définies ?

Les compartiments distingués diffèrent-ils par la plus grande partie de leurs caractères ? Jusqu’aux environs de 1930, ce problème ne préoccupait pas les géographes français ou anglais. Les thèses de géographie régionale écrites au début du siècle ne s’attardent guère — à une exception près, celle de Maximilien Sorre (1880-1962) sur les Pyrénées méditerranéennes (1913) — à la définition de milieux homogènes. Dans le monde allemand, la géomorphologie n’a pas connu la même vogue, et la vision du monde naturel est plus équilibrée. C’est là que germe l’idée qu’il existe des unités physiques possédant une originalité fondamentale. À la suite des travaux de Carl Troll (né en 1899), on conçoit le monde physique comme fait d’une mosaïque de cellules homogènes, les écotopes, dont les caractères et la disposition reflètent au premier chef l’action des facteurs climatiques. Ainsi s’est dessinée, puis fortifiée, la théorie selon laquelle il existe de véritables régions naturelles, que la géographie zonale se préoccupe de reconnaître, de décrire et d’expliquer.

Depuis quinze ans, les recherches se sont multipliées en ce domaine et il est possible d’en dresser un bilan. Il existe des ensembles clairement définis, des limites qui valent pour une pluralité d’éléments. En règle générale, il n’en va pas ainsi : les zones que l’on dessine ont un noyau dont les caractères sont purs, mais, sur les marges, on voit se combiner dégradés et transitions. La part du réel qui échappe au schéma zonal est trop forte pour que toute la géographie naturelle puisse s’organiser en fonction de ce cadre. Une large partie lui demeure étrangère : après une période initiale d’engouement, on en convient généralement aujourd’hui. Les travaux de géographie naturelle ne permettent pas la compréhension totale des faits de répartition naturelle, mais ils invitent à la réflexion sur ce qu’est une aire homogène, sur les méthodes de la taxonomie régionale : comme nous l’indiquons, on découvre que la logique des opérations à mener est la même dans tous les domaines.


Les divisions traditionnelles de la géographie humaine

La structure de la géographie humaine moderne reflète des préoccupations un peu différentes de celles qui font l’originalité de la géographie naturelle : longtemps, on s’était préoccupé presque exclusivement de description et de typologie, et on avait négligé l’analyse des processus responsables de l’ordre spatial ; rien qui ressemble, au début de ce siècle, à la théorie davisienne ou à celle des fronts, grâce à laquelle la climatologie dynamique a progressé depuis V. Bjerknes. La mutation est plus brutale qu’en géomorphologie ou en géobotanique. On opposait traditionnellement le domaine rural au domaine urbain, on distinguait les études de géographie politique, de géographie économique et de géographie humaine au sens large du terme. Certains pratiquaient une géographie qu’ils qualifiaient de sociale, sans qu’on parvienne bien à la distinguer de la géographie humaine. Lorsqu’on cherchait à voir comment s’articulaient cette dernière et les branches plus spécialisées, on se rendait compte que les différences tenaient plus à l’esprit dans lequel les recherches étaient conduites qu’à leur contenu : ceux qui se spécialisaient en économie se voulaient utilitaires et n’aimaient guère les longues analyses de caractères ou de comportements. L’histoire les effrayait également. La géographie politique acceptait de se tourner vers le passé, mais elle n’explorait que certains de ses aspects : l’évolution des constructions territoriales, le tracé des frontières. La géographie sociale était volontiers moderniste dans ses aspirations et cherchait à rompre avec l’approche humaniste de la plupart des autres branches de la discipline. Les nuances se situaient au plan des tempéraments et des méthodes d’approche retenues davantage qu’à celui du contenu. Il en fut un peu de même lorsque, au début de l’entre-deux-guerres, on vit apparaître les travaux de géographie culturelle : née de la vogue des études de paysage, elle trouva dans les progrès de l’anthropologie* de quoi donner naissance à des développements originaux.