Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
G

Gaulle (Charles de) (suite)

L’appel du 18 juin

« Les chefs qui, depuis de nombreuses années, sont à la tête des armées françaises, ont formé un gouvernement.

Ce gouvernement, alléguant la défaite de nos armées, s’est mis en rapport avec l’ennemi pour cesser le combat.

Certes, nous avons été, nous sommes, submergés par la force mécanique, terrestre et aérienne de l’ennemi.

Infiniment plus que leur nombre, ce sont les chars, les avions, la tactique des Allemands qui nous font reculer. Ce sont les chars, les avions, la tactique des Allemands qui ont surpris nos chefs au point de les amener là où ils en sont aujourd’hui.

Mais le dernier mot est-il dit ? L’espérance doit-elle disparaître ? La défaite est-elle définitive ? Non !

Croyez-moi, moi qui vous parle en connaissance de cause et vous dis que rien n’est perdu pour la France. Les mêmes moyens qui nous ont vaincus peuvent faire venir un jour de victoire.

Car la France n’est pas seule ! Elle n’est pas seule ! Elle n’est pas seule ! Elle a un vaste empire derrière elle. Elle peut faire bloc avec l’Empire britannique qui tient la mer et continue la lutte. Elle peut, comme l’Angleterre, utiliser sans limites l’immense industrie des États-Unis. Cette guerre n’est pas limitée au territoire malheureux de notre pays. Cette guerre n’est pas tranchée par la bataille de France. Cette guerre est une guerre mondiale. Toutes les fautes, tous les retards, toutes les souffrances n’empêchent pas qu’il y a, dans l’univers, tous les moyens nécessaires pour écraser un jour nos ennemis. Foudroyés aujourd’hui par la force mécanique, nous pourrons vaincre dans l’avenir par une force mécanique supérieure. Le destin du monde est là.

Moi, général de Gaulle, actuellement à Londres, j’invite les officiers et les soldats français qui se trouvent en territoire britannique ou qui viendraient à s’y trouver, avec leurs armes ou sans leurs armes, j’invite les ingénieurs et les ouvriers spécialisés des industries d’armement qui se trouvent en territoire britannique ou qui viendraient à s’y trouver, à se mettre en rapport avec moi.

Quoi qu’il arrive, la flamme de la résistance française ne doit pas s’éteindre et ne s’éteindra pas.

Demain, comme aujourd’hui, je parlerai à la radio de Londres. »

(Discours prononcé à la radio de Londres le 18 juin 1940.)


L’homme d’État

Le destin lui réserve pourtant une troisième chance, et, celle-là, il saura la saisir. Au début de mai 1958, la fragilité, l’impuissance, l’inadéquation de la IVe République, avec ses institutions précocement usées, engluée dans la guerre d’Algérie et qui gère le bien commun à raison d’un problème par semestre et d’un gouvernement par problème, éclatent à tous les regards. En moins d’un mois, l’armée et les Français d’Algérie étant entrés en rébellion, les leviers de commande échappent un à un au gouvernement, le travail de sape des gaullistes soudain grossis de renforts inattendus ouvre la route, les politiciens se rallient et même s’humilient ; dans une marche foudroyante, Charles de Gaulle reconquiert le pouvoir. Investi par l’Assemblée, acclamé par l’opinion, salué comme le plus illustre des Français par le président de la République, entouré des caciques du régime défunt, il a même obtenu carte blanche pour préparer et présenter au pays une nouvelle constitution, pour fonder une nouvelle République.

Il entame à la fois trois tâches urgentes, mais, s’il explore les voies de la normalisation en Algérie en offrant à l’adversaire nationaliste la « paix des braves », s’il avertit les alliés occidentaux par un mémorandum secret de sa volonté de voir réformer l’alliance Atlantique et admettre la France sans restrictions parmi les « Grands », c’est à l’élaboration et à l’adoption des institutions nouvelles qu’il donne la priorité absolue.

L’homme de caractère

« Face à l’événement c’est à soi-même que recourt l’homme de caractère. Son mouvement est d’imposer à l’action sa marque, de la prendre à son compte, d’en faire son affaire...

De même que le talent marque l’œuvre d’art d’un cachet particulier de compréhension et d’expression, ainsi le caractère imprime son dynamisme propre aux éléments de l’action. De là le tour personnel que prend celle-ci du moment qu’il y participe.

Moralement il l’anime, il lui donne la vie, comme le talent fait de la matière dans le domaine de l’art.

Cette propriété de vivifier l’entreprise implique l’énergie d’en assumer les conséquences. La difficulté attire l’homme de caractère, car c’est en l’étreignant qu’il se réalise lui-même... »

(le Fil de l’épée.)

Approuvée par deux Français sur trois ou quatre votants sur cinq, la Constitution produit aussitôt une Assemblée nationale où le régime, sinon les gaullistes eux-mêmes, détient une nette majorité. Élu président de la République moins de six mois après avoir été rappelé à la tête du gouvernement, de Gaulle nomme Michel Debré Premier ministre et passe à l’action.

Cette action va s’ordonner autour de quatre idées clefs qui, selon les périodes, prendront tour à tour le pas dans les faits et dans l’esprit du général, avec des fortunes diverses. Ce sont : organiser, consolider et compléter le nouveau système institutionnel ; résoudre le problème algérien et parachever la décolonisation ; déployer une politique extérieure de grandeur et d’indépendance nationale ; enfin, procéder à un certain nombre de grandes réformes, sociale, administrative, régionale, etc. Dans tous les aspects de cette entreprise, un souci constant : l’affirmation de l’autorité présidentielle, supérieure même à la loi ; un adversaire sans cesse dénoncé : les partis, la classe politique, dont la IVe République était l’expression ; un moyen essentiel : l’appel direct au peuple souverain par-delà les corps intermédiaires.

La guerre d’Algérie se prolonge cependant plus longtemps encore sous la Ve République qu’elle n’avait duré déjà sous le régime précédent. À doses homéopathiques, de Gaulle s’efforce de conduire l’opinion française de l’« autodétermination » à l’« Algérie algérienne », puis à la « République algérienne », enfin à l’idée de l’indépendance ; en même temps, à travers trois référendums successifs et des pourparlers tantôt rompus, tantôt repris, il progresse de la négociation vers le cessez-le-feu et le repli sur la métropole. Il se heurtera, sur sa route, aux « pieds-noirs » révoltés de la « semaine des barricades », aux officiers insurgés du « putsch des généraux », au terrorisme désespéré de l’Organisation armée secrète (O. A. S.).