Gaudí (Antoni ou Antonio) (suite)
La coïncidence du goût pour l’art médiéval, compris à travers John Ruskin*, et du nationalisme artistique, si elle a donné naissance à ce « renouveau catalan » dont l’un des artisans est Gaudí, ne peut, cependant, expliquer à elle seule l’apport de celui-ci : il faut y joindre l’influence de Viollet-le-Duc*, dont la lecture du Dictionnaire (plus que celle, apparemment, des Entretiens) devait considérablement enrichir la personnalité du jeune architecte. Gaudí apparaît en effet sous un certain angle comme un rationaliste, attaché à l’expérimentation technique. Grand utilisateur de poteries et de céramiques industrielles, il redécouvre l’emploi de la « voûte catalane », en briques plâtrières, et il l’habille au-dehors d’un étrange manteau d’arlequin, formé de carreaux de céramique brisés. Il emploie également le ciment sous une forme nouvelle en Espagne — soit par panneaux moulés préfabriqués (immeuble Güell), soit en revêtement d’une ossature en treillis métallique (parc Güell).
L’évolution technologique de sa pensée le conduira à imaginer des formes entièrement nouvelles : spirales, paraboloïdes et hyperboloïdes, dont les qualités de structure ont été depuis largement exploitées. C’est d’une façon souvent intuitive et déconcertante par ses aspects artisanaux qu’il établit ces structures (maquette en ficelle de l’église de la Colonia Güell, où les efforts sont figurés par des poids : la déformation des arcs et des piliers dessine le schéma parabolique des voûtes). Néanmoins, avec ces moyens à la fois patients et dérisoires, Gaudí dépasse par l’invention les plus grands ingénieurs de son époque.
Une telle vision de son œuvre ne peut pourtant être séparée de la dimension mystique de sa pensée : croyant, voué à la Vierge, il apparaît proche, en définitive, d’un symboliste comme Huysmans*. Ainsi, son œuvre impose constamment une double lecture, surtout vers la fin de sa vie, où le mysticisme l’avait emporté.
La maturation de la pensée de Gaudí a été très rapide : dès ses premières réalisations (maison Vicens, 1878-1880 ; palais Güell, 1885-1889) sont présentes les principales tendances de son œuvre — utilisation abondante de la brique et de la céramique, originalité des structures, transformation de l’espace. Le tournant essentiel de sa vie se situe au moment où, soutenu par le mécénat du comte de Güell, il entreprend l’église de la Colonia Güell à Santa Coloma de Cervelló (1898-1914), puis le parc Güell de Barcelone (1900-1914). Il travaille en même temps au transept de la Nativité (commencé dès 1891) et à la grande nef de l’église de la Sainte-Famille (Sagrada Familia), et construit les immeubles du Paseo de Gracia (maison Batlló, 1905-1907 ; maison Milá, 1905-1910), toujours à Barcelone.
Le souffle religieux qui anime alors son œuvre en transforme l’aspect, le conduisant à de multiples inventions techniques et formelles. Peu à peu, Gaudí sera amené à délaisser toute activité extérieure pour se consacrer à l’édification de la Sagrada Familia — son œuvre majeure, dont seule l’immense façade du transept de la Nativité, aux superstructures fantastiques, sera achevée avant sa mort.
F. L.
J. Rafols et F. Folguera, Antonio Gaudí (Barcelone, 1929). / G. R. Collins, Antonio Gaudí (New York, 1960). / J. J. Sweeney et J. L. Sert, Antonio Gaudí (Londres, 1960). / R. Pane, Antonio Gaudí (Milan, 1964). / E. Casanelles, Nueva visión de Gaudí (Barcelone, 1965). / C. Martinell y Brunet, Gaudí, su vida, su teoria, su obra (Barcelone, 1967). / R. Descharnes et C. Prévost, la Vision artistique et religieuse de Gaudí (Édita, Lausanne, 1969).