gamme (suite)
Antérieurement au xviiie s., la théorie des tons et modes étant encore assez floue, on se référait volontiers, surtout chez les organistes, plutôt qu’à la qualification ci-dessus, à celle des tons (ou modes) du plain-chant (qu’il ne faut pas confondre avec les huit modes grégoriens dont ils sont une dérivation harmonique profondément modifiée). Ces tons sont habituellement désignés soit par leur numéro, variable selon les nomenclatures adoptées (cf. Jacques Chailley, l’Imbroglio des modes), soit par un adjectif conventionnel pseudo-grec (dorien, phrygien, etc.) se référant également à ces nomenclatures variables. Ces termes n’impliquent aucun archaïsme modal (la toccata « dorienne » de Bach, par exemple, est tout simplement en ré mineur) ; l’archaïsme n’existe que dans la terminologie des gammes.
Dès la fin du xixe s. et surtout au xxe, notamment dans la musique française, on cesse de se satisfaire des deux gammes « classiques », et les gammes « modales » se font de plus en plus nombreuses. La plupart respectent le diatonisme des intervalles, mais choisissent d’autres toniques que do ; l’une des plus fréquentes est le « mineur sans sensible », ou « mode de la », dont les intervalles sont analogues à ceux du mineur descendant, mais employés de manière structurelle et non occasionnelle comme dans celui-ci. Cependant, on emploie aussi, des « modes » fondés sur des « gammes » non diatoniques, parfois empruntés à des modèles populaires ou exotiques (Liszt en donne des spécimens, mais sans en tirer parti, dans sa Sonate en « si » mineur). Roussel, Bartók et surtout Messiaen (modes à transposition limitée) ont donné un grand essor aux gammes de ce genre empruntées ou inventées.
Dans la musique non occidentale, on ne peut parler de « gammes » que dans la mesure où on se trouve devant une échelle codifiée fondée sur l’unité octave, ce qui n’est pas toujours le cas, mais est néanmoins très fréquent, et quasi général dans les musiques de haute civilisation. Presque toutes les gammes ainsi constituées s’appuient sur une division interne fondée sur la quinte ou la quarte, c’est-à-dire, avec l’octave, sur les intervalles fondamentaux de la « résonance », mais ceux-ci déterminent parfois les autres intervalles de manière variable selon la répartition des phénomènes attractifs (phénomène analogue aux fluctuations de la gamme occidentale avant la généralisation du tempérament égal au long du xviiie s.). Quand la constante de quinte ou quarte fait défaut, il s’agit souvent d’un phénomène artificiel d’égalisation (slendro javanais, gamme à sept tons égaux thaïlandaise, etc.) laissant intact le principe fondamental de l’octave-unité. On ne peut énoncer ici toutes ces gammes, car leur nombre est infini, et il serait fallacieux de donner la vedette à telle ou telle d’entre elles. L’essentiel était d’en bien préciser les constantes et les variantes afin de limiter autant que faire se peut des divagations trop fréquentes sur la conventionnalité des diverses gammes, divagations dont l’aspect péremptoire cache souvent mal l’insuffisance des informations.
J. Ch.
A. Auda, les Gammes musicales. Essai historique sur les modes et sur les tons (Éd. nat. belges, Bruxelles, 1947). / J. Chailley, Traité historique d’analyse musicale (Leduc, 1951) ; Formation et transformation du langage musical, intervalles et échelles (C. D. U., 1957). / O. Messiaen, Technique de mon langage musical (Leduc, 1953 ; 2 vol.). / E. Costère, Lois et styles des harmonies musicales (P. U. F., 1954). / La Résonance dans les échelles musicales (C. N. R. S., 1964).