Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
F

Fugger (les) (suite)

« Illustration de tout le pays allemand... » selon le chroniqueur augsbourgeois Clemens Senders, salué avec respect par les grands, mais haï des peuples pressurés d’impôts, l’homme à la célèbre résille d’or, Jakob le Riche, meurt à la fin de 1525, laissant la réputation d’un humaniste hostile au protestantisme, d’un esthète éclairé qui a orné de magnifiques sculptures l’église Sainte-Anne d’Augsbourg et décoré de fresques d’Altdorfer sa maison, la « Fugger Haus » ; il est enfin célébré comme un bienfaiteur de ses concitoyens les plus pauvres et les plus méritants, au profit desquels il a fait construire la « Fuggerei », groupe de 106 logements destinés à les accueillir contre versement d’un loyer symbolique.

Ayant écarté pour inaptitude intellectuelle physique, par testament en date du 22 décembre 1525, deux de ses neveux, Ulrich II et Raymund, de la direction de l’affaire, il laisse la responsabilité de la gestion réelle au troisième, Anton, qui l’assume de 1526 à 1560. Ce dernier hérite d’une entreprise dont le profit atteint 927 p. 100 lorsqu’on compare le bilan du 14 février 1512 (196 791 florins) à celui de décembre 1527 (2 021 202 florins). Il ne prête de l’argent qu’avec prudence aux Habsbourg. Mais, assuré, en 1530, d’obtenir en contrepartie une fraction importante des revenus de la cruzada accordée par le pape à Charles Quint en 1529 et associé aux Welsen, il avance 275 333 florins portant un intérêt de 10 % à Ferdinand pour assurer son élection comme roi des Romains. En partie remboursé sur le montant de la rançon française et grâce à l’aide pontificale, il reçoit, ainsi que Raymund et Hieronymus Fugger, le droit de porter les titres de comte et de baron en 1530 ; les Fugger bénéficient également du droit de frapper de la monnaie d’or et d’argent en 1534, d’accéder à la noblesse hongroise et de se qualifier comtes ou seigneurs de Kirchberg, de Weissenhorn et de Marstetten en 1535. Ayant dès lors consenti des avances trop importantes aux Habsbourg et dû recourir trop largement au crédit sur la place d’Anvers en émettant à partir de 1540 des obligations à court terme négociables en Bourse, les Fuggerbriefe, la firme succombe finalement aux contrecoups des banqueroutes partielles, mais successives de la monarchie espagnole en 1557, 1575, 1596, 1607, 1627 et 1647. En fait, dès 1560, les Génois ont supplanté les Fugger sur le marché financier. Incapable de gérer la firme, dont le bilan de 1563 ne dégage qu’un faible solde positif de 262 305 florins, Hans Jakob, le neveu et successeur d’Anton, s’en retire ruiné en 1563 et en laisse la direction au fils aîné de ce dernier, Markus (1563-1591), auquel succèdent son frère Hans II (1591-1597) et le fils de ce dernier, Markus II, qui ne peut empêcher la faillite de la banque Fugger en 1607. Survivant péniblement à cette dernière, l’entreprise Fugger a subi au total, jusqu’au milieu du xviie s., une perte de 8 millions de florins rhénans sur ses créances habsbourgeoises, dont le montant, qui représente plus d’un siècle de travail selon Richard Ehrenberg, apparaît comme la cause principale de son échec final.

P. T.

➙ Augsbourg / Charles V ou Charles Quint.

 R. Ehrenberg, Das Zeitalter der Fugger (Iéna, 1896, 3e éd., 1922 ; trad. fr. le Siècle des Fugger, S. E. V. P. E. N., 1955). / J. Strieder, Jakob Fugger der Reiche (Leipzig, 1926) ; Das Reiche Augsbourg (Munich, 1948). / F. Braudel, la Méditerranée et le Monde méditerranéen à l’époque de Philippe II (A. Colin, 1949 ; 2e éd., 1967, 2 vol.). / G. F. von Polnitz, Jakob Fugger, Kaiser, Kirche und Kapital in der Oberdeutschen Renaissance (Tübingen, 1949-1951 ; 2 vol.). / N. Lieb, Die Fugger und die Kunst (Munich, 1952-1958 ; 2 vol.). / P. Jeannin, les Marchands au xvie siècle (Éd. du Seuil, coll. « Microcosme », 1957). / L. Schick, Un grand homme d’affaires au début du xvie siècle, Jacob Fugger (S. E. V. P. E. N., 1957). / Anton Fugger (Tübingen, 1958-1967 ; 3 vol.). / R. Mandrou, les Fugger, propriétaires fonciers en Souabe, 1560-1618 (Plon, 1969).

fugue

Forme de composition polyphonique (à deux ou à plusieurs voix) de style contrapuntique, qui se fonde sur l’usage de l’imitation et la prépondérance d’un sujet générateur.


C’est une des formes majeures de la musique tonale. Elle apparaît vers la fin du xviie s., alimente tout l’art classique et, en déclin dès le xixe s., se trouve encore chez quelques maîtres modernes. Héritière du ricercare, lui-même issu du motet polyphonique, la fugue est comme le couronnement de la grande tradition occidentale du bas Moyen Âge et de la Renaissance. En elle, le principe de l’équivalence des voix se conjugue avec le principe tonal ; il en résulte une souplesse, une richesse structurale inconnues auparavant et que seule la forme sonate, plus diversifiée, a pu dépasser.

Dès le xive s., les Italiens donnaient à de simples canons le nom de fuga (« fuite »). Cette appellation imagée était due à l’impression de « poursuite » que créait la rapide succession, aux différentes voix, des imitations de motifs. Cet aspect subsiste dans la fugue classique, même lorsque, pièce d’orgue ou fragment de messe, elle prend un caractère sévère et rigoureux. Au xviie s., tandis que se constituait le système tonal, les ricercari de Sweelinck, de Frescobaldi, de Froberger préparaient les premières fugues des polyphonistes allemands du Sud (Pachelbel) et du Nord (Buxtehude), précurseurs immédiats de Jean-Sébastien Bach*.

Bach a consacré une si grande partie de son œuvre à la fugue, il l’a enrichie de telle manière et l’a portée à un tel point de perfection qu’on est quelquefois tenté — oubliant bien à tort ses expériences parallèles : choral, variation, basse continue, etc. — de l’identifier à cette forme. C’est un fait, il a mis la fugue partout : non seulement dans la musique d’orgue, mais aussi dans la messe, la cantate, la passion, la musique de clavier (le Clavecin bien tempéré) et même la partita pour violon seul. Encore qu’elle soit inachevée, sa dernière grande œuvre, l’Art de la fugue, qui n’est destinée à aucun instrument précis, se présente comme une étude exhaustive de la forme et de sa technique. Elle occupe, dans l’histoire, une place à part : celle d’un irremplaçable ouvrage didactique qui serait aussi l’une des plus belles pages de musique de tous les temps.

Le sujet d’une fugue est généralement court, voire très court. Celui de la Fugue en « ré » majeur pour orgue de J.-S. Bach (B.W.V. 532) ne comprend pas moins de soixante-quatre notes, pour la plupart des valeurs brèves (double croche) ; mais celui de la Fugue en « ut » majeur (B.W.V. 547), avec ses neuf notes, n’excède guère une mesure.