Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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francophones (littératures) (suite)

Poésie, roman, théâtre se sont d’abord polarisés autour de la notion de « négritude », venue des Antilles, entretenue à Paris dans les cercles d’étudiants où se rencontraient Césaire et Senghor, propagée ensuite par la revue Présence africaine et sa maison d’édition que dirige Alioune Diop, diffusée dans le grand public par les deux Anthologies de Damas et de Senghor en 1947 et 1948. Elle trouve son expression la mieux équilibrée et sa réalisation la plus remarquable chez Léopold Senghor*, qui unit à un degré exceptionnel l’enracinement africain et l’humanisme universel dans une œuvre dont la postface de ses Éthiopiques, en 1956, a résumé l’esprit par la formule de « métissage culturel ». La négritude se fait plus agressive à l’approche des indépendances, sous la plume de poètes comme Birago Diop (né en 1906) ou Tchicaya U’Tamsi, de romanciers tels que Ferdinand Oyono, Sembène Ousmane, Mongo Beti, appuyés sur les synthèses d’un Cheikh Anta Diop (né en 1923), qui cherche à glorifier l’Afrique en la présentant comme la mère de toutes les civilisations (Nations nègres et culture, 1955).

La réalisation des indépendances donne aux réquisitoires anticolonialistes un caractère rétrospectif. Mais la confrontation des cultures demeure plus actuelle que jamais et donne souvent lieu à des récits autobiographiques, où d’anciens étudiants racontent leurs expériences d’Europe ou d’Amérique (Bernard Dadié, Un Nègre à Paris, 1960, Patron de New York, 1964 ; Aké Loba, Kacoumbo l’étudiant noir, 1960 ; Camara Laye, Dramouss, 1966), ou à des romans sur le problème des mariages interraciaux (Sembène Ousmane, O Pays, mon beau peuple, 1957 ; Cheikh Hamidou Kane, l’Aventure ambiguë, 1961). D’autres, sur ce même thème du mariage, plaideront la cause de la modernisation, en opposant les aspirations des jeunes et le conservatisme de leurs aînés (Seydou Badian Kouyaté, Sous l’orage, roman, 1957 ; Guillaume Oyono, Trois Prétendants, un mari, théâtre, 1965). D’autres, après Camara Laye (né en 1928), dont l’Enfant noir (1953) reste le chef-d’œuvre, peindront les mœurs traditionnelles et leur évolution (Olympe Bhêly-Quénum, Un piège sans fin, 1960 ; Francis Bebey, le Fils d’Agatha Moudio, 1969). Il leur arrive de réadapter des genres tels que l’apologue (Camara Laye, le Regard du roi, 1954), le conte chez Birago Diop, Ousmane Socé, Ibrahim Seid, la légende mythologique ou épique chez Jean Malonga (né en 1907), la poésie chantée et dansée, dont Senghor et Keita Fodeba (Poèmes africains, 1950) avaient déjà donné des échantillons. Certains, parmi lesquels nous retiendrons surtout Amadou Hampaté Bâ, s’appliquent à transcrire fidèlement les créations populaires, rejoignant ainsi les travaux des ethnologues et les rendant plus accessibles ; d’autres, un Lamine Diakhaté (né en 1927), un Malick Fall, suivent les voies ouvertes par Senghor, dans une Afrique désormais affranchie et débarrassée de ses complexes. Et certains, parmi les plus récents, embrassent d’un même coup d’œil les étapes coloniale et postcoloniale en les reliant au long passé précolonial dans une vision souvent amère et parfois atroce (Ahmadou Kourouma, les Soleils des indépendances, 1968 ; Yambo Ouologuem, le Devoir de violence, 1968).

Il se peut que la littérature se diversifie à mesure que s’affirmera l’individualité des États et des peuples. Pour l’instant, un mouvement continental prédomine. Et ses aspects essentiels se retrouvent jusqu’à Madagascar, malgré une situation géographique et une composition ethnique qui apparentent l’île aux autres terres de l’océan Indien. Parmi ses trois poètes majeurs, Jean-Joseph Rabearivelo (1903-1937) ne parvient pas à surmonter son écartèlement entre deux cultures et finit par se donner la mort, Jacques Rabemananjara (né en 1913) s’inspire du sentiment national à la fois dans ses vers lyriques et dans ses tragédies, Flavien Ranaivo modèle certaines de ses chansons sur le genre populaire du hain-teny, tandis qu’en prose un Rabearison reproduit des contes et légendes malgaches.


Littérature francophone du Proche-Orient

La littérature francophone du Proche-Orient a deux foyers : au Liban, surtout les maronites ; en Égypte, la bourgeoisie cosmopolite, elle-même en grande partie composée de Libanais et en régression devant la poussée du nationalisme arabe. Ses débuts, au Liban, sont antérieurs à 1914, avec les poèmes et les drames romantiques de Chekri Ganem (1861-1929) ; sous le mandat français, des poètes, Hector Klat, Fernand Tyan, Charles Corm (né en 1894), chantaient la fraternité entre les chrétiens d’Orient et la France ; en Égypte, d’autres poètes de toute origine, en très grand nombre, célébraient aussi l’harmonie entre les cultures. Les prosateurs égyptiens empruntaient au folklore des personnages comme Goha le Simple (Albert Adès et Albert Josipovici, le Livre de Goha le Simple, 1924) ou les histoires d’animaux qui fournirent plusieurs volumes à Elian J. Finbert : la romancière Out El-Koutoub décrivait la vie des harems. L’existence des montagnards libanais inspirait à Fardj Allāh Hā’ik (né en 1909) sa trilogie des Enfants de la terre (1948-1951) avant une série de récits violents, dans une veine qu’exploite aussi Vahé Katcha. Et une âpreté mêlée d’ironie caractérise les tableaux de la misère qu’offre depuis 1946 l’Égyptien Albert Cossery.

Très variés, les écrivains d’aujourd’hui se situent volontiers à l’avant-garde. Ceux des poètes qui restent fidèles au vers traditionnel le manient souvent à la perfection, tels au Liban le subtil Fouad Gabriel Naffah (la Description de l’homme, du cadre et de la lyre, 1963), en Égypte Joseph Ascar-Nahas ou Raoul Parme ; d’autres vont aux extrêmes du surréalisme, ainsi les Égyptiennes Joyce Mansour, Renée Guirguis, leur compatriote Georges Henein, qui, en 1939, rapportait d’une rencontre avec André Breton sa première œuvre, Déraisons d’être, ou Edmond Jabès, plus voisin de Max Jacob avant de se muer en adepte de la sagesse rabbinique. Deux noms se détachent : Andrée Chedid (née en 1920), dont les poésies (Double Pays, 1965), les nouvelles, les romans de plus en plus condensés et poignants (le Survivant, 1963), le théâtre émeuvent par l’intensité de leur pitié frémissante ; Georges Schéhadé, que la fantaisie cocasse et poétique de ses pièces classe, non loin d’Ionesco, comme un des maîtres de l’humour et de l’absurde.

À côté d’historiens comme Jawad Boulos, de critiques comme Salah Stétié, longtemps directeur de l’Orient littéraire, qui a orienté sur place le mouvement des lettres, beaucoup d’autres, un Georges Cattaui, un Robert Abirached, le philosophe personnaliste René Habachi, débordent le cadre local et participent au développement de la pensée universelle.