Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
F

francophones (littératures)

Ensemble des littératures de langue française. (Celles de la France, de la Belgique, de la Suisse, du Canada et du Maghreb sont traitées à leur ordre alphabétique.)



Littérature louisianaise

Aux États-Unis, on mentionnera pour mémoire la littérature franco-américaine de Nouvelle-Angleterre, étroitement liée à celle du Canada, d’où venaient la plupart de ses écrivains et où se publiaient leurs œuvres. Celle de Louisiane mérite plus d’attention. Elle a duré tout le xixe s. ; elle a connu son apogée vers 1840, devançant ainsi ses voisines. Enracinée parmi les créoles, alimentée par des journalistes républicains venus de France pour échapper aux répressions de la monarchie ou du second Empire, elle a compté des poètes, les frères Rouquette, Oscar Dugué († 1872), qui célébraient en romantiques leurs amours, leur mélancolie ou les beautés de leur pays ; dans une Nouvelle-Orléans férue de théâtre, elle avait produit une tragédie à sujet indien, le Poucha-Houmma (publiée en 1814) de Leblanc de Villeneufve ; elle aura son dramaturge échevelé. Placide Canonge (1822-1893) ; elle a son historien, Charles Gayarré (1805-1895) ; à côté des nouvelles où excellait un homme de couleur, Séligny, les journaux publieront des romans-feuilletons plus considérables. Mais la guerre de Sécession coupera court à cet élan en ruinant les créoles, déjà submergés par les Anglo-Saxons. En vain Alfred Mercier tente-t-il de regrouper leur élite en fondant, en 1876, l’Athénée louisianais, véritable académie de province qui publie une revue au titre lui aussi trop modeste, Comptes rendus : après sa génération, la littérature d’expression française s’éteindra. Pourtant, elle est restée féconde même dans la dernière partie du siècle, où elle produit ses trois romans les plus représentatifs : le Vieux Salomon (1872), de Charles Testut, l’Habitation Saint-Ybars (1881), d’Alfred Mercier, les Quarteronnes de La Nouvelle-Orléans (1894-1898), de Sidonie de La Houssaye ; et le poète Georges Dessommes (1855-1929) suit le mouvement des lettres jusqu’au symbolisme baudelairien.

Alfred Mercier

(McDonough 1816 - La Nouvelle-Orléans 1894). Médecin, Alfred Mercier, avait fait ses études à Paris, où il avait publié, en 1842, dans un même volume, une nouvelle poétique, la Rose de Smyrne, et un « mystère » en vers, l’Ermite du Niagara. Ses romans s’échelonnent de 1869 (Hénoch Sédécias) à 1891 (Johnelle), le meilleur étant l’Habitation Saint-Ybars (1881). Il a écrit pour le théâtre (Fortunia, 1888), et l’on trouvera dans les Comptes rendus de l’Athénée louisianais d’autres vers bien frappés, des essais, un drame philosophique dans le goût de Renan, Paracelse (1890), paru la même année qu’un autre drame en vers, Reditus et Ascalaphus.

Dominique Rouquette

(Bayou-Lacombe 1810 - La Nouvelle-Orléans 1890) et son frère Adrien (La Nouvelle-Orléans 1813 - id. 1887) publient coup sur coup à Paris : l’aîné, en 1839, les Meschacébéennes ; le cadet, en 1841, les Savanes. Dominique donne en 1856 un second recueil de vers, Fleurs d’Amérique ; Adrien, que ses études ont promené de la Louisiane au Kentucky, puis à Nantes, et qu’ont ballotté de nombreuses aventures sentimentales, se convertit, devient prêtre, prêche avec éclat à La Nouvelle-Orléans le carême de 1846, rédige un temps la revue le Propagateur catholique, puis publie en anglais ses Wild Flowers (1848). Fasciné par l’attrait des solitudes, il va passer le reste de ses jours chez les Indiens Choctaws (ou Chactas), qui l’adoptent sous le nom de « Chahtalma ». À cette passion de la solitude, il consacre un essai, la Thébaïde en Amérique (1852), une épopée prolixe, l’Antoniade (1860), enfin un roman, la Nouvelle Atala (1879).


Littérature haïtienne

Haïti*, l’ancienne « partie française de Saint-Domingue », est devenue indépendante en 1804. Son histoire mouvementée a vu de nombreuses luttes civiles, des révolutions, des coups d’État, des changements de régime. Sa littérature s’en est ressentie. Au début, comme il advient presque toujours, elle s’est engagée dans les polémiques nationales ou intérieures ; sa première revue, l’Abeille haytienne de Milscent († 1842), paraît de 1817 à 1819 ; sa première pièce de théâtre, l’Haïtien expatrié, de Fligneau, est jouée dès 1804.

Le romantisme verra surgir des élégiaques : Coriolan Ardouin, Ignace Nau, poètes morts jeunes, et leurs amis se groupent en 1837 autour du journal le Républicain, devenu ensuite l’Union ; Émile Nau s’y fait le champion d’une littérature nationale et d’une langue française « quelque peu brunie sous les tropiques ». Un peu plus tard, des historiens, Thomas Madiou en 1847-48, Beaubrun Ardouin (1796-1865) à partir de 1853, Joseph Saint-Rémy (1815-1858), retracent la naissance de leur patrie. Sur la période révolutionnaire, ils recueillent les témoignages oraux des survivants, et leurs ouvrages, complétés et corrigés par des recherches d’archives, rendent encore service.

À la fin du siècle, la poésie s’épanouit : un Oswald Durand (1840-1906) célèbre la beauté d’Haïti ou les belles Haïtiennes en français littéraire ou, dans son petit chef-d’œuvre Choucoune, en dialecte créole ; Massillon Coicou (1867-1908) concilie son patriotisme intense et le culte des « grands ancêtres » révolutionnaires avec l’amour de la France émancipatrice ; il a écrit plusieurs pièces de théâtre et projetait une série de romans, dont un seul, la Noire, est paru (en 1905). Le précurseur en ce genre était Emeric Bergeaud (1818-1858), avec Stella (1859) ; on trouve aussi deux romans ultra-romantiques sous la plume de Démesvar Delorme (1831-1901), maître à penser de l’époque, dont nous préférons l’étude sur les Théoriciens au pouvoir, vaste synthèse, parallèle à celles que des contemporains, Anténor Firmin, Hannibal Price, Louis Joseph Janvier, consacrent à réhabiliter leur race ou à défendre leur patrie.

1898 voit naître une revue, la Ronde, et une école du même nom, qui, comme dans le même temps l’école littéraire de Montréal, met l’accent sur le souci du style et les aspirations à l’universel. Prolongée par des périodiques ultérieurs, son influence s’est fait sentir presque jusqu’à nos jours, défendue avec ardeur par l’historien, critique et diplomate que fut Dantès Bellegarde (1877-1966). Elle a pour chef de file un poète philosophe, Etzer Vilaire (1872-1950), dont l’inspiration contraste avec la veine plus locale d’un Georges Sylvain (1866-1925) ; et l’on rattachera au même groupe Damoclès Vieux (1876-1936), d’un intimisme délicat (l’Aile captive, 1913), la frémissante Ida Faubert (Cœur des îles, 1939) ou Dominique Hippolyte, Frédéric Burr-Reynaud, Luc Grimard. À l’époque de la Ronde apparaît aussi une série de romanciers qui peignent la vie populaire sous des couleurs volontiers humoristiques : Frédéric Marcelin (1848-1917), en 1901, avec Thémistocle-Epaminondas Labasterre, suivi en 1905 par Justin Lhérisson (1873-1907) avec la Famille des Pitite-Caille, et par Fernand Hibbert (1873-1928) avec Séna.