Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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France (suite)

L’art gothique

Tandis que s’épanouit l’art roman, l’Île-de-France*, vers les années 1125, voit naître l’art gothique en ce monastère de Saint-Denis* dont un homme de génie, qui a une haute idée de la signification religieuse de l’art, l’abbé Suger, fait reconstruire l’église. Ce sera la dernière abbaye à être un foyer de genèse. Désormais, les formes neuves s’élaborent sur les chantiers des cathédrales*, monuments de la cité, édifiés par des artistes laïques qui, pour perfectionner leur métier et soutenir leurs droits, se groupent en corporations.

Peut-être n’y eut-il pas dans tout l’art occidental de création plus originale que l’art gothique, ainsi nommé en signe de mépris par les âges classiques et qui, sans conteste, est la contribution la plus importante de la France à l’histoire des formes. L’art roman était encore un produit métissé de formes orientales, byzantines et classiques ; la Renaissance établira les principes d’un art nouveau sur le retour au vocabulaire artistique antique. Dans l’art gothique, tout est neuf : les formes architecturales, audacieuses, sont issues d’un mode de construire original, fondé sur l’utilisation méthodique d’un mode de couverture, la voûte d’ogives, qui permet l’élégissement maximal des murs ; quant au sculpteur, il recrée la statuaire en restituant à l’art la forme humaine et invente un vocabulaire décoratif propre, inspiré de la flore champêtre. La cathédrale gothique semble mue par une force de croissance qui la fait se développer organiquement comme un être vivant, mais elle obéit aussi à des rythmes modulaires que lui impose l’esprit français de logique, et ces nouveaux canons auront force de loi en Europe pour deux siècles. Encore encombrée des anciennes tribunes romanes au xiie s. (Laon*, Paris*, Noyon), la cathédrale s’en délivre au xiiie s. Au-dessus des grandes arcades, la suite des arcs du triforium viendra rythmer la perspective de la grande nef (Chartres*, Reims*, Amiens*) ; vers 1230, le triforium, pourvu d’une clairevoie, tendra à être absorbé par la fenêtre (nef de Saint-Denis*, cathédrale de Troyes*). Enfin, il disparaîtra, la travée n’étant plus alors constituée que par le vide de l’arcade et le réseau vitré de la fenêtre (Saint-Urbain de Troyes). Quant à l’effort d’altitude, il atteint 48,20 m à la grande voûte de la cathédrale de Beauvais*, commencée en 1247. Cependant, la logique du système gothique n’est pas à ce point rigoureuse qu’elle ne puisse laisser place à des variétés locales, en Champagne*, en Bourgogne, en Normandie, en Anjou*. Quant aux architectes du Languedoc, ils n’éprouvent pas cette passion de la virtuosité technique et ce goût du vertige qui attirent leurs confrères d’Île-de-France, de Champagne ou de Bourgogne ; les larges nefs uniques à chapelles latérales, éclairées par d’étroites fenêtres, affirment au xiiie s. la continuité du sens monumental latin (cathédrales de Toulouse et d’Albi*).

La France du xiiie s. restitue au monde occidental l’anthropomorphisme classique, qu’avait supplanté l’idéomorphisme de l’Orient. Dans cette restauration de la forme humaine, l’art français médiéval parcourt les mêmes étapes que l’art grec ancien, de l’archaïsme au classicisme, mais sur un mode moins « formaliste », plus naturel et moins « corporel », qui rappelle les interprétations qu’avaient faites du classicisme antique les sculpteurs de la Gaule. Comme l’art grec avait élaboré le couros et la coré, l’art français du xiiie s. donne au Moyen Âge son type viril et son type féminin. Durant le xiie s., peu à peu, les corps se délivrent des contraintes romanes (Saint-Denis, v. 1145 ; portail Royal de Chartres, v. 1150 ; Senlis, v. 1185). Autour des années 1200, un courant antiquisant, dont l’origine reste mystérieuse, inspire les ateliers de Laon et Braine (1190-1216), de Paris, de Chartres (jubé, v. 1260) et les premiers ateliers de Reims (groupe de la Visitation, v. 1220?). Mais les ateliers de la façade ouest d’Amiens (1220?-1236) inaugurent le style plus spécifiquement gothique de la statuaire aux volumes moins denses, aux formes plus allongées et gracieuses, au maintien souple, aux plis curvilignes.

Les arts de la couleur connaissent aussi en France un admirable essor. Dans la fragile structure des cathédrales sans murs, les vitraux* peints remplacent les fresques qui occupaient les parois pleines de l’église romane. Les plus beaux ateliers furent à Chartres, dont la cathédrale a conservé presque toute sa verrerie originale. La France accomplissait ce miracle d’immatérialiser la peinture, de jouer avec les vibrations de la lumière elle-même ; et déjà ses verriers élaboraient quelques-unes des harmonies fondamentales de la peinture nationale : accord bleu-rouge et accord bleu-or, où un ton chaud est tempéré par un ton froid. On a dit que la présence d’une grande université dans la capitale avait suscité l’essor de la miniature* parisienne. La calligraphie gothique se raffine en élégance et se spiritualise dans le Psautier de Saint Louis (entre 1253 et 1270, Bibl. nat.) et les œuvres du miniaturiste Jean Pucelle (Bréviaire de Belleville, avant 1343, Bibl. nat.). L’enlumineur dématérialise ce corps humain auquel le sculpteur avait rendu sa densité, et, au xive s., le sculpteur suivra le chemin tracé par l’enlumineur ; l’architecture elle-même verra alors ses formes s’amenuiser, se géométriser. Quant au vitrail, les couleurs en deviendront sans cesse plus transparentes. De la peinture, les destructions presque totales ne laissent plus deviner l’apparence ; il en est de même de la tapisserie*, art qui s’élabore à Paris à la fin du xiiie s. et deviendra un des éléments essentiels de la vie princière internationale ; le plus ancien ensemble conservé est la tenture de l’Apocalypse d’Angers*, tissée à Paris par Nicolas Bataille, v. 1375-1380, sur des cartons de Hennequin de Bruges. Ce dernier nom souligne l’entrée en ligne des artistes flamands, qui, venus travailler à la cour de France, s’incorporeront d’abord au milieu parisien. Entre 1370 et 1420, la France est un des grands centres de l’art de la tapisserie, célébrant les thèmes cynégétiques, sylvestres, chevaleresques et courtois, où se croisent en un style élégant les apports parisiens, flamands, italiens.