Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
F

Fouquet (Jean)

Peintre français (Tours v. 1415-1420 - id. entre 1477 et 1481).


Des études nombreuses ont, depuis un demi-siècle, replacé Jean Fouquet dans son milieu et montré la complexité de son art. Mais les documents anciens, trop rares pour révéler l’homme, n’éclairent guère mieux l’œuvre, dont une grande part semble irrémédiablement perdue.

Tourangeau à coup sûr, sans doute né hors mariage (d’un ecclésiastique), on ne peut préciser sa date de naissance. Rien ne permet d’affirmer qu’il ait fait des études universitaires, puis appris l’art de peindre auprès d’enlumineurs parisiens. Une seule donnée sûre : il séjourna à Rome, y peignit un portrait du pape Eugène IV très loué par l’architecte humaniste le Filarete (1400-1465), pour reparaître à Tours en 1448. Ensuite, d’assez nombreux documents le montrent marié, père de deux enfants, travaillant jusqu’à sa mort dans l’orbite de la Cour et notamment pour Charles VII et Louis XI. Certains nous instruisent, fort sèchement, des tâches très diverses qui lui furent confiées : peindre le masque mortuaire de Charles VII et organiser les décorations pour l’entrée de Louis XI à Tours (1461), peindre le modèle du tombeau que Louis XI se fait édifier dans l’église de Cléry (1474), dessiner un dais pour la visite d’Alphonse V de Portugal (1476). D’autres se réfèrent aux commandes d’une Assomption pour l’archevêque Jean Bernard (1463), de tableaux pour l’ordre militaire de Saint-Michel (1469) ou pour la paroisse de Notre-Dame-la-Riche à Tours (1475), mais on ignore ce qu’il en advint. Par contre, des peintures connues aujourd’hui, aucune n’est documentée : seule une note de François Robertet, secrétaire du duc de Bourbon, attribue à Fouquet certaines miniatures des Antiquités judaïques. C’est donc par une série de recoupements et de comparaisons stylistiques qu’on tente de reconstituer l’œuvre de Fouquet.

Celle-ci, quant aux tableaux, semble se réduire à quelques portraits. Le plus ancien, celui du pape avec deux secrétaires, est très imparfaitement connu par une mauvaise gravure du xvie s., mais l’appréciation du Filarete — « Un grand maître, surtout pour les portraits d’après nature » — s’applique parfaitement à ceux que conserve le Louvre : le grêle et triste Charles VII, sorte d’icône rigide entre deux rideaux symétriques ; le chancelier Guillaume Juvénal des Ursins priant, écarlate, massif, tel qu’on imagine le pharisien de l’Évangile (il faut en rapprocher l’admirable dessin préparatoire conservé à Berlin) ; le nerveux autoportrait peint sur émail. À ce groupe s’ajoute le diptyque, aujourd’hui partagé entre deux musées, qui montre Étienne Chevalier, trésorier du roi (Berlin), accompagné de son saint patron, au pied d’une Vierge à l’Enfant couronnée (Anvers) ; celle-ci, découvrant un sein, d’une arabesque raffinée dans son maniérisme gothique, passe pour un portrait d’Agnès Sorel. Tous ces portraits attestent un dessinateur hors pair, incisif et serré, presque âpre parfois, dont le graphisme sobre continue la tradition du portrait de cour médiéval ; mais aussi un peintre tirant habilement parti de la technique de Van Eyck* et surtout un observateur aigu, un psychologue sans équivalent dans la France médiévale, qui excelle à capter les secrets de son modèle.

De Fouquet, peintre religieux, nous posséderions un chef-d’œuvre s’il était l’auteur de la Déploration du Christ retrouvée en 1931 dans l’église de Nouans, non loin de Tours. La vigueur sculpturale, la plénitude de la forme seraient dignes de Van der Weyden*, mais avec plus de suavité élégiaque et moins de tension. L’attribution à Fouquet est tout à fait licite, par rapport à son style dans la miniature et le portrait, mais aucun élément externe n’est venu, jusqu’à présent, la confirmer.

Fort heureusement, Fouquet, comme la plupart des peintres français de son temps, fut aussi enlumineur, et ses miniatures seules permettent d’apprécier l’ampleur et la variété de son art. Bien qu’il soit parfois difficile de distinguer la part du maître et celle de l’atelier, on peut considérer Fouquet comme l’auteur du livre d’Heures d’Étienne Chevalier, son œuvre la plus populaire (dépecée au xviiie s. et incomplète ; des 44 miniatures conservées, 40 appartiennent au musée de Chantilly), du second volume des Antiquités judaïques de Flavius Josèphe commencées au début du siècle pour le duc de Berry (Bibl. nat.), des Grandes Chroniques de France résumées en 1458 pour Charles VII (Bibl. nat.), et du Boccace de Munich.

Ces œuvres charment d’abord comme miroirs d’une époque, par l’élégant réalisme des intérieurs évoquant la vie de cour ou la vie bourgeoise dans la Touraine du xve s., par l’éclat des cortèges et des solennités, par la gaieté des couleurs et la fraîcheur exquise des paysages dans lesquels Fouquet transpose les épisodes de la Bible ou de la vie des saints. Le Mont-Saint-Michel ou le donjon de Vincennes sont représentés avec autant d’exactitude que de charme, mais c’est la ville du peintre ou la campagne tourangelle qui occupent les premières places : la Construction du Temple de Jérusalem, dans les Antiquités Judaïques, c’est celle de la façade de la cathédrale de Tours, qui s’élevait au temps de Fouquet...

Mais cet aspect, pour séduisant qu’il soit, ne suffit pas à définir l’art de Fouquet. D’autres miniaturistes du temps surent retracer avec charme le cycle des travaux et des jours. Sa grandeur est d’un autre ordre : elle est dans l’aisance singulière avec laquelle il enclôt dans une surface minuscule les compositions, souvent grandioses, des Heures (Saint Hilaire présidant un concile ou l’extraordinaire Paradis) ; dans le style majestueux et familier, large et paisible de ses groupes, qui conserve, en pleine crise de tension et parfois d’emphase bourguignonne, les qualités monumentales du xiiie s. — restées plus vivaces dans la sculpture de la Loire que dans celle de la région parisienne. De cette noblesse témoignent aussi bien des scènes d’intimité (comme les deux Annonciations) que des compositions à multiples personnages (la Montée au calvaire). Par ailleurs, ce traditionalisme ne doit pas faire oublier l’ouverture de Fouquet aux nouveautés italiennes. Et ce n’est pas seulement sur le plan des décors, immédiatement frappant (portiques à colonnes, pilastres, guirlandes de chérubins...) ; plus importants encore sont le style des draperies à l’antique (Mort et Assomption de la Vierge) et le sens de l’espace, avec les fuites en biais de perspectives architecturales et de groupes savamment échelonnés (le Repas chez Simon). Fouquet a connu les œuvres de Masaccio*, de Fra Angelico*, de Lippi*, peut-être de Piero* della Francesca. Sans jamais les pasticher, il en a tiré parti avec une intelligence exemplaire.

Artiste résolument « moderne », exceptionnel dans la France de son temps et malheureusement sans vraie postérité au siècle suivant, il a su fondre l’héritage gothique et les acquisitions du quattrocento.

P. G.