Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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formalisation dans les sciences humaines (suite)

Dans ce cadre général commun, deux courants coexistent, qui diffèrent profondément par leur manière d’aborder les problèmes, même si, en définitive, leurs points d’arrivée ne sont pas trop éloignés, au point que près de vingt ans de recherches n’ont diminué la vitalité d’aucun d’entre eux. Il est vrai qu’il s’agit plus de différences d’attitudes méthodologiques, voire épistémologiques, que de divergences théoriques véritables.

Le premier courant, celui des modèles dits d’échantillonnage du stimulus, part explicitement d’une théorie de l’apprentissage, celle de E. R. Guthrie, qui cherche à formaliser en donnant des définitions précises et opératoires des différents concepts utilisés, en particulier des variables intermédiaires et des mécanismes supposés.

L’autre courant, qui a donné à ses modèles le nom plus neutre de modèles stochastiques, se veut théoriquement « non engagé ». Son point de départ est une analyse purement formelle des propriétés que doit présenter un modèle pour qu’il puisse décrire un processus d’apprentissage de façon adéquate. Par exemple, on exigera que les fonctions choisies soient telles que la probabilité d’une réponse renforcée augmente. Une condition aussi évidente, avec quelques autres, ainsi que des considérations de simplicité mathématique guident dans le choix des fonctions adoptées.

Cet exemple de la formalisation des processus d’apprentissage nous montre quatre démarches qu’on peut retrouver dans d’autres domaines : l’ajustement de courbes à des données empiriques, l’élaboration de grandes théories axiomatisées, la formalisation de certains aspects de théories exprimées auparavant de façon verbale, enfin la construction de modèles à partir de considérations purement descriptives et formelles. Actuellement, dans le domaine de l’apprentissage, ce sont surtout les deux dernières attitudes qui sont fréquentes ; le simple ajustement de courbes est souvent trop grossier et ne renseigne guère sur les mécanismes en jeu, et rares sont actuellement les psychologues qui se hasardent à proposer des théories trop générales, et cela d’autant moins que les exigences de la formalisation sont plus strictes et ne laissent guère subsister de flou dans les concepts.

L’ajustement de courbes, ou plus généralement la recherche de corrélations empiriques entre un certain phénomène et une ou plusieurs variables explicatives, sans que le mécanisme de la liaison soit explicité, est très largement utilisé dans d’autres disciplines. En particulier, de nombreux modèles économétriques (qu’il faut distinguer de la formalisation de théories économiques) sont de ce type. Par exemple, on exprimera qu’une certaine consommation est une fonction linéaire du revenu du ménage consommateur, de sa taille, des prix des produits en question et de leurs substituts, etc. Les coefficients de cette équation traduisent l’importance relative de chacun de ces facteurs. De tels modèles, qui peuvent devenir extrêmement raffinés, sont très largement utilisés pour la prévision : si on est en mesure de faire des hypothèses sur la valeur des différentes variables explicatives à l’horizon choisi, on n’a qu’à substituer ces valeurs dans le modèle pour en obtenir la valeur attendue de la variable expliquée.

Cette catégorie de modèle est assez largement utilisée chaque fois que l’identification des facteurs explicatifs d’un phénomène est jugée plus importante que l’analyse fine des mécanismes qui les produisent, et en particulier lorsque l’objectif est explicitement la prévision. Citons comme exemple, en dehors de l’économétrie, l’usage de tels modèles pour la prévision des résultats d’élections ; bien que, dans ce domaine, on ait parfois recours à des analyses plus fines, qui cherchent à rendre compte de changements possibles d’opinions au cours de la campagne électorale, ce qui amène alors à construire des modèles plus proches des modèles d’apprentissage dont nous avons parlé ci-dessus.

L’introduction et la diffusion des ordinateurs ont permis de construire des modèles de plus en plus complexes et raffinés, qu’il serait pratiquement impossible de traiter à la main. Mais l’intérêt des ordinateurs ne se réduit pas à la facilitation des calculs ; ils sont à l’origine de tout un courant de recherches sur la simulation du comportement.

Le concept de simulation, bien que très couramment utilisé lorsqu’il est question de l’emploi des ordinateurs, n’est pas très précis. Si on le prend dans son acception la plus large, on peut dire que tout modèle simule le phénomène qu’il est censé représenter. Nous nous limiterons ici à deux sens, plus restreints, correspondant à deux catégories de problèmes que peut se poser le chercheur. Le premier, qui a surtout en vue des possibilités d’application, c’est : comment concevoir et programmer une machine réalisant certaines tâches qui, jusqu’à présent, sont accomplies par des hommes ? Le second problème est plus directement scientifique : comment programmer une machine pour que son comportement reproduise le plus fidèlement possible un certain comportement ?

Dans le premier cas, on se centrera exclusivement sur le but à atteindre : gagner des parties d’échecs, reconnaître des formes, conserver des informations et les fournir à la demande, résoudre certains problèmes, etc. Ce qu’on cherchera, c’est comment atteindre au mieux l’objectif qu’on s’est fixé, même si les moyens utilisés n’ont plus grand-chose de commun avec ceux qu’utiliserait un être humain. Dans le second cas, au contraire, on cherchera à reconstituer au mieux le comportement, avec toutes ses caractéristiques, y compris ses tâtonnements et ses erreurs ; si on y arrive, on pourra dire que le programme constitue bien un modèle du comportement en question.

Les recherches du premier type, qu’on rassemble souvent sous le nom d’intelligence* artificielle, peuvent, elles aussi, malgré la différence d’objectifs, apporter beaucoup au psychologue qui étudie les phénomènes correspondants, en mettant en évidence certaines conditions formelles de la réalisation d’une certaine tâche, ce qui suggère que ces conditions doivent se trouver remplies dans tout organisme qui est capable d’exécuter cette tâche.

Tous les modèles que nous avons passés en revue jusqu’à présent ont en commun de chercher à prédire des comportements à partir de leurs facteurs explicatifs, de leurs conditions et des mécanismes de leur production. D’autres modèles, que l’on peut appeler structuraux, mettent l’accent sur les relations qui peuvent exister entre les éléments d’un système.