Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
F

Fontana (Lucio) (suite)

Fondamentale à la problématique de Fontana est la question de l’existence du tableau. Tout en continuant à travailler sur une toile, il met cette dernière en question, car, au-delà d’une toile fendue, le travail pictural n’a plus de raison d’être. De même qu’Yves Klein* avec les monochromes bleus ou que Piero Manzoni (1933-1963) avec les achromes, Fontana est de ceux qui marquent la fin d’une époque artistique : celle de la peinture. Désormais, l’artiste ne sera plus forcément un peintre (ou un sculpteur), et l’espace de l’art, plus nécessairement pictural. Cette idée de faire sortir la peinture de son cadre a d’ailleurs été mise en pratique par Fontana avec des dispositifs de tubes fluorescents, dont les plus célèbres ont été conçus à la IXe Triennale de Milan (1951) et à la XXXIIIe Biennale de Venise (1966). Il se définit bien là comme artiste « spatial », c’est-à-dire comme un artiste qui recrée un espace à l’intérieur d’un véritable environnement*, évolution logique à partir des concepts spatiaux.

A. P.

 M. Tapié, Devenir de Fontana (G. le Prat, 1962). / F. De Bartolomeis, Segno antidisegno di Lucio Fontana (Turin, 1967).

Fontane (Theodor)

Écrivain allemand (Neuruppin, Brandebourg, 1819 - Berlin 1898).


Theodor Fontane, descendant de huguenots languedociens établis en Prusse, a eu très tôt le goût d’écrire et il faisait des vers à vingt ans quand il était commis de pharmacie. Mais il n’a trouvé ses thèmes et sa manière que quarante ans plus tard, alors qu’il avait largement dépassé la soixantaine, après une carrière variée d’homme de lettres et de journaliste. Un long cheminement sans éclat particulier avec beaucoup de réflexions et des crises rejetées s’est terminé ainsi par quinze années d’intense création, comme si, par le fait d’un événement libérateur mal déterminé, des obstacles avaient été levés.

C’est à Berlin, pendant les mois de la révolution de 1848, que Fontane avait décidé d’abandonner la carrière de pharmacien pour essayer de vivre de sa plume. Depuis 1845, il était membre d’un cercle de poètes, où il avait remporté des succès, et ses ballades historiques sont longtemps demeurées dans les livres de lecture.

Devenu bientôt journaliste, il fut, pendant cinq ans, correspondant à Londres et admirateur de Walter Scott, avant de revenir à Berlin à la rédaction de la Gazette de la croix (Kreuzzeitung), le principal journal conservateur prussien. Durant la campagne du Danemark en 1864, les guerres de 1866 et de 1870-71, il a été correspondant de guerre. Sa « campagne de France » a été vite interrompue, en septembre 1870 à Domrémy, où il était venu voir la maison de Jeanne d’Arc et où des francs-tireurs l’avaient fait prisonnier. Libéré en décembre 1870, il publiait quelques mois plus tard un court volume de souvenirs.

En 1862, il avait donné le premier volume de ses Promenades à travers la Marche de Brandebourg (Wanderungen durch die Mark Brandenburg), dont le dernier, le quatrième, ne parut qu’en 1882. Les anecdotes et les souvenirs y tiennent autant de place que les descriptions ; on sent l’auteur tout près du roman historique, tenté de mettre en scène les hommes du passé et de mêler aux figures historiques les enfants de son imagination.

C’est un trait de la manière de Fontane romancier que d’unir à une minutieuse observation des lieux et des monuments des anecdotes datées et des épisodes rarement tout à fait imaginaires. De ses récits de voyages, on passe comme insensiblement aux romans, où il montre un talent de conteur et de causeur très spontané. De même, quand il publiera, à la fin de sa carrière, en 1894 et 1898, ses souvenirs d’enfance et de jeunesse (Meine Kinderjahre et Von zwanzig bis dreissig), bien peu de chose les distinguera des romans qu’il donnait dans les mêmes années.

Sa manière tient du reportage et du tableau de voyage ; il y a de l’esprit de conversation et de la réflexion, quelque chose aussi du « roman expérimental », cher aux réalistes français de la même période. Fontane lisait volontiers les Goncourt ; on le sent dans son premier roman à sensation, qui l’a consacré comme écrivain « moderne » et qu’il a intitulé Adultera (1882). Sans aucune transposition dans le temps ou dans l’espace, le sujet lui a été fourni par la chronique mondaine de Berlin, dont il peint les milieux d’affaires, la banque en particulier. Le cadre est celui de Berlin dans les « années de fondation » (Gründerjahre), quand la spéculation boursière faisait et défaisait les fortunes, quand la bourgeoisie d’affaires menait grand train au cercle et aux courses et commençait à voyager hors d’Allemagne, à l’imitation des Anglais.

À partir de 1887, Fontane donne, coup sur coup, soutenu par un succès croissant après Adultera, la série de ses nouvelles et romans berlinois. Cécile, en 1887, est une étude de mœurs, dans un milieu moyen, tournant autour d’un portrait de femme. En 1888, Irrungen, Wirrungen (traduit en français sous le titre Dédales) est l’histoire d’une amourette entre un cadet de Brandebourg et une lingère de Berlin-Wilmersdorf. Madame Jenny Treibel, en 1892, peint, autour de l’héroïne principale qui fournit son titre au roman, la famille et les amis d’un fabricant très prospère de bleu de Prusse. En 1895, Effi Briest est le produit le plus achevé de son talent de conteur. Tout dans cette brève histoire tourne autour d’une jeune femme, primesautière et rêveuse, chez qui on pourrait trouver quelques traits d’Emma Bovary et peut-être aussi d’Anna Karenine.

Peu après la mort du romancier paraissait son dernier ouvrage, le Stechlin (1899), où l’on voit surgir, aux côtés des bourgeois enrichis et des nobles de la Marche de Brandebourg, les sociaux-démocrates, portés par une nouvelle force sociale, celle des travailleurs organisés.

Fontane a été un des meilleurs prosateurs de son temps, comparable par son réalisme à Gottfried Keller, qui était amoureux de Zurich comme il l’était, lui, de Berlin. Sa phrase mesurée, son art du dialogue, le ton désabusé de ses réflexions ont assuré à ses romans une solide popularité.

P. G.

 C. Wandrey, Theodor Fontane (Munich, 1919). / R. Brinkmann, Theodor Fontane (Munich, 1967). / H. H. Reuter, Theodor Fontane (Berlin, 1967 ; 2 vol.). / H. Nürnberger, Theodor Fontane (Hambourg, 1969). / Ironie et dialogisme dans les romans de Theodor Fontane (P. U. G., Grenoble, 1974).