Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

Almohades (suite)

De retour au Maroc, ibn Tūmart juge de son pouvoir sur le peuple maghrébin. Entouré d’un petit groupe de disciples, il s’arrête dans chaque agglomération, s’adresse dans les mosquées aux croyants et les captive par son éloquence véhémente. Il blâme le luxe des habits, le relâchement des mœurs et brise, partout où il les rencontre, les instruments de musique et les amphores de vin. Son but est d’amener les croyants à veiller à la pureté de l’islām et à intervenir pour faire cesser toute pratique que la religion réprouve. À Mallāla, petite localité de la banlieue de Bougie, il élabore sa doctrine au contact de ses étudiants, auxquels il précise le but de sa mission. C’est dans ce village qu’il rencontre un jeune homme de la tribu berbère zénète des Kūmiyas, ‘Abd al-Mu’min, le futur calife almohade.


La fondation de la communauté almohade

Arrivé à Marrakech vers 1120, ibn Tūmart quitte la ville sous la menace d’une arrestation. Pourchassé par les autorités almoravides, il trouve refuge dans le Haut Atlas marocain, sur le territoire de sa propre tribu, les Harrhas. Il s’établit à Tinmel, dans la haute vallée de l’oued Nfis. De là, il entreprend de propager sa doctrine parmi les tribus masmoudiennes. Très vite, il réussit à gagner à sa cause les chefs de tribus, pour lesquels il rédige, en dialecte berbère, un traité résumant l’essentiel de ses idées. Grâce à une propagande judicieusement organisée, il s’impose à toute la population du Sous. Il met un terme aux luttes de clans et jette les bases de la communauté almohade, noyau de la dynastie qui porte le même nom. Une fois son autorité affermie, il se proclame « mahdī ». Devenu l’« imām impeccable », le chef de la communauté almohade s’inspire dans sa conduite de Mahomet, dont il prétend descendre.


L’organisation de la communauté almohade

Comme lui, il organise un État qu’il adapte admirablement aux structures de la société berbère. Au sommet de la hiérarchie almohade est la djamā‘a, composée de dix personnes, les premiers et les plus sûrs disciples d’ibn Tūmart. Trois d’entre eux sont particulièrement influents : ‘Abd al-Mu’min, le futur calife, Abū Ḥafṣ ‘Umar, l’ancêtre des Ḥafṣides, et al-Bachīr. Au-dessous de la djamā‘a est rassemblée des Cinquante, qui comprend des représentants des tribus masmoudiennes de l’Atlas : les Harrhas, les Tinmels, les Hintātas, les Gedmīwas, les Genfīsas. Les décisions les plus importantes sont prises par ibn Tūmart avec l’aide des Dix. Pour les affaires de moindre envergure, l’imām prend l’avis des Cinquante.


‘Abd al-Mu’min et la fondation de la dynastie almohade

À la mort du mahdī vers 1128, son principal lieutenant, ‘Abd al-Mu’min, hérite d’un État constitué, qui possède des ressources fournies par l’impôt et des troupes fanatisées et aguerries au cours des escarmouches contre les Almoravides. ‘Abd al-Mu’min est étranger aux Masmoudas. Il appartient à la tribu des Kūmyas d’Oranie. Cette qualité d’étranger semble l’imposer comme arbitre parmi les tribus masmoudiennes. Après une période de trois ans, pendant laquelle la mort d’ibn Tūmart est tenue secrète, ‘Abd al-Mu’min est reconnu par les Almohades comme le calife du mahdī. Il prend le titre d’émir des croyants (amīr al-mu’minīn) et maintient l’organisation instituée par son maître.


L’occupation du Maghreb et de l’Andalousie

Dès son avènement, il s’engage dans une lutte à mort contre les Almoravides. Le coup de grâce est donné par l’occupation de la capitale Marrakech en 1147. Deux ans plus tard, les Almoravides sont définitivement chassés du Maroc. Au milieu du xiie s., ‘Abd al-Mu’min est reconnu par une délégation d’al-Andalus comme souverain de l’Andalousie occidentale. En 1151, il détruit le royaume ḥammādide de Bougie. L’année suivante, il bat les Hilāliens et étend sa domination sur l’ensemble du Maghreb central. En 1159, il marche à la tête d’une puissante armée sur l’Ifrīqiya et soumet les petites dynasties qui, depuis la destruction de l’Empire zīride, règnent sur ce pays. Quelques mois plus tard, en 1160, il enlève la ville de Mahdia aux Normands. En 1161, il entreprend d’enlever l’Andalousie orientale à ibn Mardanīch, un Espagnol d’origine chrétienne, pour établir sa souveraineté sur toute l’Espagne musulmane.


Gouvernement et administration almohades

‘Abd al-Mu’min fonde une dynastie mu’minide en désignant pour lui succéder son fils Muhammad. Afin de neutraliser les Masmoudas, auxquels il est étranger, il s’appuie sur des Arabes, représentants des grandes familles hilāliennes, amenés au Maroc après leur défaite en Ifrīqiya. Il réussit à faire d’eux des partisans dévoués, capables de contrebalancer l’autorité des cheikhs almohades. Il découpe l’Empire en provinces, dont il confie l’administration à ses propres enfants. Ceux-ci jouent le rôle de gouverneurs et sont assistés par des cheikhs qui ont le titre de vizirs.

En 1159, ‘Abd al-Mu’min procède à un vaste arpentage de la Cyrénaïque à l’Atlantique et établit un cadastre pour l’ensemble du Maghreb. Cette entreprise a un objectif fiscal : il s’agit, pour le calife, de déterminer les terres appartenant aux musulmans non almohades. Ces derniers sont considérés comme des infidèles, et leurs biens deviennent des « habous » (propriétés à caractère religieux), dont les occupants sont astreints à payer le kharādj (impôt foncier prélevé sur les non-musulmans). Cette mesure permet à ‘Abd al-Mu’min d’approvisionner le trésor de l’État.


Les tribus arabes et la dynastie almohade

Toutefois, la politique fiscale du calife almohade ne touche pas toutes les tribus du Maghreb. Certaines d’entre elles, arabes hilāliennes et berbères zénètes, ne sont pas astreintes au kharādj. Constituées en tribus makhzen, elles assistent le gouvernement pour prélever cet impôt sur la population sédentaire. Elles sont, en outre, astreintes au service militaire et constituent l’essentiel de l’armée almohade.