Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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figuration (nouvelle) (suite)

En juin 1962, dans la même galerie Mathias Fels, se tint une seconde exposition, « Une nouvelle figuration II », cette fois présentée par Michel Ragon. Elle confirma le sentiment que l’on avait eu à la première, car la préface faisait un vaste inventaire de tout ce qui avait maintenu la permanence de la représentation dans le moment où s’exerçait pleinement l’hégémonie abstraite : Enrico Baj, John Christoforou, John Hultberg, Bengt Lindström, Jean Messagier, Irving Petlin, Marcel Pouget, Paul Rebeyrolle et même Pierre Tal-Coat se trouvaient présents avec des toiles aussi récentes que possible, ce qui n’empêchait pas que leurs options fussent plus anciennes. Pourtant on trouvait là, en quelque sorte, une charnière proprement européenne au moment même où le pop’art commençait à faire sentir ses premiers effets, et la présence des peintres ayant appartenu au mouvement Cobra*, les figures de Dubuffet, de Bacon, de Jean Hélion, de Matta et de Giacometti constituaient un corps « d’ancêtres » particulièrement prestigieux.

Il est impossible, cependant, de ne pas revenir sur le pop’art pour comprendre la signification et la particularité des différentes tendances que l’on a groupées sous l’appellation de nouvelle figuration. L’événement majeur du début des années 60, en effet, a été l’apparition, le développement puis l’éclatement de ce mouvement présenté exclusivement comme un produit de l’école de New York. Cette récupération artistique de l’image urbaine, qui avait été annoncée par des précurseurs comme Rauschenberg* et Jasper Johns, et illustrée par les « sept grands » (Lichtenstein, Oldenburg, Segal, Warhol, Wesselmann, Rosenquist et Jim Dine, auxquels on peut ajouter le Suédois Öyvind Fahlström), avait trouvé ses prémices en Grande-Bretagne. Le mot pop’art lui-même fut inventé par le critique anglais Lawrence Alloway vers 1954-55 et, sous l’impulsion du peintre Richard Hamilton et du sculpteur Eduardo Paolozzi, toute une génération pop apparut à Londres, dont l’influence en Europe fut presque aussi importante que celle de New York, mais avec des moyens de diffusion et de propagande infiniment moins puissants. Allen Jones, Derek Boshier, Joe Tilson, Peter Blake, Peter Philips, David Hockney. R. B. Kitaj et, plus tard, Patrick Caulfield et Colin Self furent les figures marquantes du pop anglais, et leurs œuvres sillonnèrent l’Europe, ses biennales, ses expositions-marchés, ses Salons. Il faut ajouter au rôle joué par ces artistes celui de l’Américain Peter Saul (né en 1934), qui résida pendant de nombreuses années à Paris et à Rome, et qui introduisit une forme d’imagerie séditieuse, ironique, fondée sur des personnages de comics : il eut une influence très directe en 1964 sur des peintres parisiens comme Bernard Rancillac (né en 1931) et Hervé Télémaque (né en 1937), et ses tableaux constituèrent l’un des chemins qui conduisirent au renouveau de l’art politique.

Il faut ici dire un mot de cet « art politique » qui a fort mauvaise réputation en raison des méfaits du réalisme socialiste dans les pays de l’Est et qui, pourtant, a constitué l’une des réactions les plus originales de l’Europe au pop’art et, par conséquent, l’une des composantes les plus toniques de la nouvelle figuration.

Le pop’art avait adopté à l’égard de l’image urbaine, de la publicité, de la société dite « de consommation » une attitude purement objective et froide. Ce qui l’intéressait, c’était de réagir contre la subjectivité et l’expressionnisme abstrait qui avaient triomphé au cours des années précédentes, et de fournir en quelque sorte le constat optique d’une réalité extérieure à l’homme et en même temps puissamment déterminante : celle du contexte urbain. Les Européens continentaux reçurent la leçon à la fois par le gigantisme, l’efficacité et la brutalité des pops américains ainsi que par la subtilité détachée et volontairement « décadente » des pops anglais, qui affectaient, avec beaucoup d’humour, de ne pas se prendre au sérieux et de se moquer de toutes ces questions de terminologie critique. En France, l’exposition des « Mythologies quotidiennes » organisée en 1964 au musée d’Art moderne de la Ville de Paris, la « Figuration narrative », galerie Creuze en 1965 (dans le cadre de la Biennale de Paris), puis, en Italie, les différentes sessions d’« Alternative attuali » (1965 et 1968), mises sur pied à l’Aquila par le critique d’art Enrico Crispolti, ainsi que les expositions de Bologne « Il Presente Contestato » (1965) et « Il Tempo dell’immagine » (1967), conçues par Franco Solmi, furent les principales manifestations dans lesquelles la nouvelle figuration trouva à se manifester. Les biennales, celle de Venise comme celle de Paris, les Salons, notamment le Salon de mai et celui de la Jeune Peinture, furent également des véhicules actifs. Et l’on vit ainsi l’expression nouvelle figuration appliquée à des expériences qui s’éloignèrent de plus en plus des constantes expressionnistes (Atila [Attila Biró], Hugh Weiss, Vladimir Velickovic) et postsurréalistes pour s’engager dans deux voies que l’on peut considérer comme divergentes, bien qu’elles aient eu de nombreux rapports entre elles : d’une part, l’analyse de l’image porta sur la recherche de ses structures (Valerio Adami, Jiri Kolar, Mario Schifano, Samuel Buri, Guido Biasi, Bepi Romagnoni, Titina Maselli), sur l’emblématique (Jacques Poli, Francis Naves, Ugo Nespolo, Umberto Mariani, Edmund Alleyn, Peter Stämpfli, Gérard Schlosser), sur l’hygiène de la vision (Martial Raysse, Michelangelo Pistoletto), et le registre froid alla en s’accentuant jusqu’à l’épure, jusqu’au jeu des matériaux translucides (Lourdes Castro, Alain Dufo) et l’utilisation systématique de l’épiscope (Rancillac, Télémaque), permettant la reproduction instantanée du document photographique. D’autre part, le primat donné au contenu sur la forme conduisit à engager la peinture de contestation dans les actes qui cherchaient moins un résultat esthétique assuré que l’efficacité d’une action à caractère politique (Eduardo Arroyo, Antonio Recalcati, Paolo Baratella, Michel Parré, Henri Cuéco, Gérard Tisserand, Christian Zeimert, Rafaël Canogar, Lucio Fanti, le groupe espagnol Crónica, Johannes Grützke, Klaus Staeck, et aussi de nombreux Sud-Américains, tel Antonio Berni). Depuis 1965, l’évolution du Salon parisien de la Jeune Peinture illustre cette tendance, qui a trouvé son point le plus chaud dans l’atelier populaire de l’École des beaux-arts lors des événements de 1968 et donné lieu, depuis cette date, à de nombreuses manifestations à caractère souvent collectif.