Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
F

fer (suite)

L’architecture du fer

Depuis bientôt deux siècles, la production des métaux ferreux a entraîné, dans le domaine de l’architecture, des transformations profondes, d’abord par la mise au point de types nouveaux de structures, et plus tard au stade de la conception architecturale elle-même.


Le fer forgé dans l’économie traditionnelle

Le fer, rare et coûteux, était jadis d’un emploi assez restreint. Le seul matériau travaillant à la traction, et ainsi capable de franchir horizontalement une portée, de faire office de poutre, était le bois, employé pour les planchers et les charpentes*. Mis à part le cas particulier des ossatures entièrement en bois, la construction faisait essentiellement appel aux matériaux extraits du sol et travaillant en compression, même pour franchir un vide à l’aide d’un arc.

On avait certes tenté, aussi bien en Occident que dans le Sud-Est asiatique, d’assurer une meilleure cohésion des maçonneries à l’aide de pièces de bois incorporées ; mais sans grand succès car, dans ces conditions, le bois pourrit et la cavité devient une cause de ruine. Aussi était-il normal de songer à faire appel aux chaînages métalliques, enrobés de plomb pour éviter leur corrosion. La Grèce a fourni des exemples remarquables d’un tel emploi ; et le Moyen Âge surtout, où nous trouvons une utilisation rationnelle du fer pour le chaînage des grands édifices gothiques et le raidissement de leurs verrières.

À la suite des Byzantins, qui ont su annuler les poussées des coupoles à l’aide de tirants, les architectes italiens de la Renaissance ont ceinturé les leurs avec du fer. L’exemple le plus curieux est sans doute celui du dôme de Saint-Pierre de Rome, armé de métal dès sa construction, mais de façon insuffisante, car il dut être renforcé de cercles de fer deux siècles plus tard.

L’époque classique, en dépit d’une opinion tenace, s’est vivement intéressée à tous les problèmes techniques ; elle a naturellement fait appel au métal, dans la mesure où les limites étroites de sa production le lui permettaient. Le fer était encore obtenu dans des bas fourneaux utilisant le bois comme combustible ; et la crainte du déboisement provoquait le contrôle sévère d’une exploitation qui consommait à elle seule l’équivalent du chauffage des habitations.

La stabilité des colonnades, dont Perrault* avait fourni un modèle au Louvre, est assurée par des barres horizontales et verticales ; il s’agit là d’un simple chaînage. Mais les progrès sont rapides, et l’on constate assez vite l’emploi de poutres d’égale résistance, voire d’armatures disposées de la façon la plus moderne, selon le profil d’une poutre à encastrements.

Dans tous les cas, il s’agit de fers forgés, aux assemblages proches de ceux qui sont employés pour le bois, mais parfaitement adaptés à la nature du matériau. Mis au point dès le Moyen Âge pour les grilles de défense et les clôtures des chapelles, cet art de ferronnerie* est alors en plein développement (rampes d’escaliers, balcons, etc.). Il parvient, dans la clôture des chœurs ou bien celle des places (Nancy), à rompre avec l’opacité du mur, à créer l’interpénétration des espaces.

À la fin du xviiie s., en France, c’est en fer forgé que sont tentés les premiers essais de planchers et de combles « incombustibles » (en fer et corps creux), au Louvre ainsi qu’au Théâtre-Français de Victor Louis (en 1786) ; et il en sera encore de même en plein xixe s. pour les charpentes de la Bourse de Paris (1813-1826), par Éloi Labarre (1764-1833), ou celles du théâtre de l’Ambigu, en 1827, par Jacques Ignace Hittorff (1792-1867) et Jean-François Joseph Lecointe (1783-1858).


L’industrie du fer laminé

Entre-temps, l’Angleterre, menacée comme la France de voir disparaître des forêts plus que jamais nécessaires à la construction navale, était parvenue à résoudre le problème du combustible. Ses hauts fourneaux, alimentés au coke de houille grâce à l’invention des Darby, produisaient de la fonte en grande quantité ; le puddlage au four à réverbère (1784) allait permettre de décarburer cette fonte et d’obtenir un fer d’une qualité moyenne, mais suffisante pour répondre aux besoins de l’industrie naissante. Ce fer puddlé, d’emploi général au cours du xixe s., va nécessiter l’élaboration de multiples machines pour le façonner en barres de sections diverses, en fils et en feuilles ; puis pour le scier, le percer et le raboter ; enfin, le procédé du rivetage, assurant la solidarité des tôles et des cornières laminées, permettra d’obtenir des poutres composées. Et lorsque, dans le troisième tiers du xixe s., on va faire appel à l’acier, plus homogène et plus résistant, pour obtenir des portées plus grandes ou des structures plus légères, on utilisera encore les mêmes techniques.


Les ponts et le développement de la construction métallique

L’essor des transports, en particulier par voie ferrée, et celui de la métallurgie sont étroitement liés. Si le fer a rendu possible la machine à vapeur et le rail, l’un et l’autre ont fourni à l’industrie qui les a fait naître des débouchés jusqu’alors inconcevables. Dans un tel concours, le rôle des ingénieurs était de premier plan ; ils ont mis au point les techniques d’utilisation du métal selon l’économie la plus stricte, sans trop se soucier de questions esthétiques. Aussi, à l’heure où les architectes s’aviseront de l’importance du fer, celui-ci aura déjà envahi le paysage ; il les forcera sinon à réviser leurs conceptions, du moins à tenir compte d’un domaine théorique et pratique qui, à de rares exceptions près, leur avait été jusque-là étranger.

Depuis le xvie s., on rêvait de construire un pont* en métal. La première tentative, faite en fer forgé, à Lyon (1755), n’aboutit pas. Ce fut la fonte qui permit à Abraham Darby, en 1773-1779, de réaliser à côté de sa fonderie de Coalbrookdale une arche de 30 m de portée. Trente ans plus tard, Louis Alexandre de Cessart (1719-1806) et J. V. Marie de Lacroix-Dillon (1760-1807) élèveront à Paris le pont des Arts selon le même principe : un arc fléchi en fonte dont la légèreté et le mode d’assemblage font plutôt songer à du fer forgé. La fonte, pourtant, on le sait déjà à cette date, travaille surtout en compression, comme la pierre, mais à un taux beaucoup plus élevé ; aussi avait-on pu dépasser 70 m de portée au pont de Sunderland (Durham), en 1796. L’établissement d’éléments creux en fonte, se comportant comme des voussoirs d’arc, formait une solution parfaitement valable : la recherche devait être longtemps poursuivie en ce sens.

Utiliser la résistance du fer à la traction non plus pour soutenir un tablier de pont, mais pour le suspendre, à l’exemple des primitifs ponts de lianes ou des ponts-levis, devait sembler tout aussi logique. De là cette singulière fortune des ponts suspendus, d’abord en chaînes, puis en câbles, voire en tringles rigides.