Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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féodalité (suite)

Ce système, développé au temps de Charlemagne et de Louis le Pieux, s’effondre au ixe s., lorsque les invasions normandes, magyares, sarrasines ruinent le monarque et détruisent son prestige. Ne montant plus jusqu’à lui, le service vassalique contribue dès lors à favoriser l’émiettement du pouvoir monarchique au profit des détenteurs de l’autorité publique, qui accaparent le droit de ban à leur profit et se transforment généralement en princes territoriaux, seuls susceptibles désormais de protéger efficacement les hommes libres isolés, qui acceptent en contrepartie d’entrer dans leur dépendance.

Les réseaux de subordination se multiplient, envahissent l’État et les sociétés et entraînent la multiplication des bénéfices, dont la notion s’étend rapidement de l’ensemble des biens attachés à une fonction à la charge elle-même, qui constitue avec son cadre territorial un honor à l’heure même où celui-ci tend à une hérédité que n’institue pas mais qu’accepte le capitulaire de Quierzy en 877.

Ainsi, sur les ruines de l’État, se constitue un monde nouveau, fondé sur les liens de dépendance, que les souverains, en France comme en Allemagne, vont d’ailleurs exploiter pour maintenir leur autorité relative sur les princes territoriaux en reconnaissant ces derniers comme leurs vassaux et en les contraignant par là même à s’acquitter envers eux de certains services et à s’abstenir de certains actes hostiles en raison même du serment de fidélité qu’ils doivent leur prêter.

Ce monde nouveau, c’est le monde féodal, dont le premier âge couvre, selon Marc Bloch, le xe s. et la première moitié du xie s., au cours desquels il s’épanouit dans les pays situés entre la Loire et la Meuse et d’où il gagne le reste de l’Europe occidentale. S’instaurant avec une relative facilité en Allemagne et en Bourgogne, États nés du démembrement de la monarchie carolingienne, les institutions féodales restent relativement inachevées en Italie du Nord, où elles se heurtent à la tradition antique et à l’épanouissement précoce de la vie urbaine, et surtout en Espagne chrétienne, où les conditions particulières de la Reconquista ont permis aux rois de limiter les libertés accordées aux féodaux. Importée au contraire par les Normands en Italie du Sud à partir de 1030, et en Angleterre à partir de 1066, introduite également par les croisés francs dans les États latins du Levant dès le début du xiie s., la féodalité apparaît dans ces pays comme une institution plus structurée, plus rigide, « mais plus fragile aussi » comme le souligne Jacques Le Goff. Enfin, les traditions locales ont contribué à en modifier fortement les traits spécifiques dans les pays slaves et scandinaves proches de l’Allemagne.

L’hommage

Élément fondamental du contrat vassalique, qui met en présence deux hommes — le « miles » du xie s., qualifié de « homo » ou « vassalus » au xiie s., et le « dominus », ou « senior » —, l’hommage est l’acte par lequel le premier se reconnaît volontairement l’homme du second au cours d’une cérémonie normalement solennelle se déroulant soit à la résidence de ce dernier, soit au chef-lieu de la seigneurie dont dépend le fief.

Un tel acte se décompose naturellement en deux éléments fondamentaux : d’abord l’immixtio manuum, c’est-à-dire l’acte par lequel l’homme, nu-tête, sans armes et à genoux, remet ses mains jointes dans celles du seigneur ; puis le volo, déclaration de volonté qui peut se résumer par une phrase du type « Je deviens votre homme » et dont l’un des plus anciens exemples est celle qui fut faite au comte de Flandre en 1127 par l’un de ses vassaux.


La féodalité classique

Selon J. Le Goff, la féodalité constitue « l’ensemble des liens personnels qui unissent entre eux dans une hiérarchie les membres des couches dominantes de la société ». Elle repose sur une base « réelle », le bénéfice, terme auquel se substitue celui de fief entre la fin du ixe s. et le xie s. Concédé par un seigneur à son vassal après que celui-ci lui en a fait hommage et lui a accordé sa foi, ce fief oblige celui qui le reçoit, aux termes du contrat vassalique, à en accomplir le service.

En fait, la conclusion du contrat vassalique crée pour les deux parties des obligations complémentaires.

Celles du vassal sont d’abord la subjectio et la reverencia, qui comportent principalement les marques extérieures de respect : tenir l’étrier, fournir les services d’honneur (escorte lors des cérémonies officielles, etc.). Il faut y ajouter la fidélité, c’est-à-dire le refus de tout acte contraire aux intérêts matériels et moraux du seigneur et l’accomplissement de tous ceux qui permettent au contraire de les promouvoir : le consilium (conseil) et l’auxilium (aide). Au titre du consilium, le vassal doit aider son seigneur de ses conseils politiques et judiciaires en répondant à toute convocation qu’il lui adresse de se rendre à la curia (« cour »), qui est à la fois l’organe de gouvernement et le tribunal de la principauté seigneuriale. Au titre de l’auxilium, le vassal doit d’abord à son seigneur une aide militaire qui est la base même du contrat vassalique et qu’il rend en tant que chevalier. Bien entendu, l’accomplissement de ce service dépend surtout, à partir du xie s., de l’importance du fief concédé : le vassal peut être tenu de l’accomplir seul avec un armement plus ou moins complet ou en compagnie d’un nombre plus ou moins élevé de chevaliers qu’il recrute parmi ses propres vassaux et pour une période plus ou moins longue selon qu’il s’agit d’une expédition dans le voisinage (cavalcata, chevauchée) ou d’une guerre véritable et lointaine (ost), dont la forme la plus contraignante est le Römerzug, le voyage de Rome que Frédéric Ier Barberousse et ses successeurs imposent à leurs vassaux à l’occasion de leur couronnement impérial. Complétée par le service de garde dans un château du seigneur ou dans le sien propre, l’aide militaire est une charge très lourde pour le vassal, qui en obtient la réduction, d’abord en France, où elle est limitée progressivement à 40 jours à partir de 1050 ; il en est de même en Allemagne et en Angleterre à partir du xiie s., le rachat du Römerzug étant alors permis dans le premier de ces deux pays, tandis que, dans le second, Henri II Plantagenêt perçoit systématiquement une taxe de rachat, l’écuage, sur tous ses vassaux, même directs, sauf en temps de guerre.