Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
F

Fauré (Gabriel) (suite)

La tragédie joue un moindre rôle dans Pénélope, et il faut voir dans cet opéra écrit sur un texte assez faible de René Fauchois comme une immense ode à la fidélité : parmi ces pages significatives, signalons l’arrivée d’Ulysse sous les haillons du mendiant transfiguré par l’amour, la chaleur qui émane du tableau d’Eumée, la violence concise du troisième acte, réservé aux prétendants de Pénélope, qui mesurent chacun leur force. Le thème d’Ulysse, avec son double appel d’octave, s’insinue peu à peu dans tous les rouages de la partition, thème de l’amour fidèle dont Fauré, par lambeaux, imprégnera toutes les pages d’art instrumental qui lui resteront à écrire.


L’art de Fauré

Si les mots classicisme et romantisme peuvent avoir encore un sens, on peut prétendre qu’en pleine période du postromantisme il est peu de maîtres à l’image de Fauré qui allient ces deux conquêtes, ces deux états d’esprit. En effet, Fauré n’oubliera jamais la leçon que lui a enseignée son maître Saint-Saëns, et qui est faite d’une admiration spontanée pour un art fait d’élégance et d’équilibre, celui de Haydn, Mozart, Couperin et Rameau, et d’une pratique journalière de Beethoven. Mais, pour avoir rencontré Mendelssohn, Chopin et Schumann, il reste attaché à un romantisme qui tourne le dos à celui de Berlioz pour sa discrétion et pour l’intimisme dont il marque son message. Sans toucher à l’impressionnisme cultivé par les contemporains, il poursuit un rêve difficile, celui qui consiste à trouver une synthèse entre la forme, les lignes polyphoniques des traditionalistes et l’émouvant lyrisme du monde germanique et slave. Un autre propos distingue son art : toucher par les moyens les plus simples, aller à l’essentiel, à la brièveté, délaisser ce qui se voit trop au profit de ce qui se sent et, pour cela, utiliser des procédés subtils relevant du monde de l’harmonie, jouer de l’équivoque entre le ton et le mode, ne pas accuser les plans, mais les laisser deviner, rester attaché à la pudeur d’une grâce latine, voire hellénique, fuir la lourdeur de l’écriture pour atteindre la densité de la pensée.

Comprendre Fauré suppose intelligence et sensibilité, car cet art de la qualité s’adresse moins à la masse qu’à l’élite. Le plus grand mérite de l’homme est d’avoir compris qu’il y avait lieu, en cours de route, de délaisser les tentatives charmeuses de la jeunesse pour atteindre, à travers des chemins secrets et parfois douloureux, à une perfection lyrique voilée de mystère.

N. D.

 L. Vuillemin, Gabriel Fauré et son œuvre (Durand, 1914). / C. Kœchlin, Gabriel Fauré (Alcan, 1927 ; 2e éd., Plon, 1949). / P. Fauré-Fremiet, Gabriel Fauré (Rieder, 1929 ; 2e éd., A. Michel, 1957) ; Gabriel Fauré, lettres intimes (la Colombe, 1951). / G. Fauré, Opinions musicales (Rieder, 1930). / V. Jankélévitch, Gabriel Fauré, ses mélodies, son esthétique (Plon, 1938 ; nouv. éd., 1951) ; le Nocturne, Fauré, Chopin et la nuit. Satie et le matin (A. Michel, 1957). / C. Rostand, l’Œuvre de Fauré (Janin, 1945). / N. Suckling, Gabriel Fauré (Londres, 1946). / E. Vuillermoz, Gabriel Fauré (Flammarion, 1960). / A. Dommel-Diény, l’Harmonie vivante, t. V : l’Analyse harmonique en exemples, fasc. 13, Fauré (Delachaux et Niestlé, 1967). / F. Gervais, Étude comparée des langages harmoniques de Fauré et de Debussy (Richard-Masse, 1971 ; 2 vol.). / J.-M. Nectoux, Fauré (Éd. du Seuil, coll. « Microcosme », 1972). / J. Vuaillat, Gabriel Fauré (Vilte, Lyon, 1974).

Faust

Héros de nombreuses œuvres littéraires et artistiques.


À l’origine de la légende et du mythe, un homme, qui vécut en Allemagne dans la première moitié du xvie s. (Johannes Trithemius [1462-1516] en parle dès 1507 ; le personnage a dû mourir vers 1540). Comment, autour de cet homme, assez médiocre semble-t-il, une légende a-t-elle pu se former ? C’est que Georg ou Johann Faust était un sorcier. La magie est un savoir qui, par une transgression des interdits religieux — la magie est la religion à l’envers —, donne le pouvoir (le salut sans et contre Dieu). Savoir, pouvoir, transgression, il n’est point étonnant que ces aspects constitutifs du type médiéval du sorcier s’exaltent au xvie s. On continue à croire au pouvoir de la magie, et, en même temps, l’aspect « savoir » est renforcé par le fait qu’un sorcier comme Faust se trouve alors être aussi un professeur — il a enseigné à Kreuznach —, une sorte d’humaniste, de savant, un Paracelse dévoyé. Aussi bien le mythe goethéen de Faust sera-t-il le mythe de la connaissance et de sa puissance. En outre, si les interdits persistent dans l’Allemagne luthérienne, la Renaissance exalte l’individu et tend à le libérer, renforçant donc le troisième trait du sorcier, qui est la transgression. L’appétit de jouissance qui va bientôt s’exprimer dans le mythe de Don Juan sera parallèle à l’ambition, proclamée par le Faust de Marlowe, de dépasser les limites qui briment l’individu humain.

Telles seraient les raisons générales qui expliqueraient la naissance de la légende — laquelle s’est formée, comme il est habituel, par agglutination de thèmes divers. Les humanistes, qui ont été les premiers à parler de Faust, nous le présentent comme un sorcier vantard et sodomite. La piété et la naïveté de Melanchthon et de ses disciples ont fait davantage pour la légende de ce personnage, qui leur est apparu comme un être redoutable, capable d’évoquer, à l’occasion, la belle Hélène de Grèce, lié avec le diable, qui l’a sans doute étranglé. Enfin, en plusieurs endroits d’Allemagne, une légende populaire se développe, qui multiplie les tours et les prodiges du sorcier. En bref, un Panurge germanique, un Till Eulenspiegel savant et suspect. Cette légende s’inscrit en 1587 dans le Volksbuch imprimé par Spies, Historia von D. Johann Fausten, qui introduit dans le récit la légende d’Hélène — l’Hélène de Homère et l’Hélène de la gnose —, venue de l’histoire de Simon le Magicien, et qui entoure ce conglomérat de théologie luthérienne.