Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
F

fascisme (suite)

Sociologie du fascisme

L’idéologie fasciste exalte la réconciliation des hommes par le travail et concentre dans les mains d’un chef la toute-puissance de l’État.

Le terme de fascisme désigne à l’origine spécifiquement la dictature établie par Mussolini en Italie en 1922, mais, l’exemple italien ayant donné lieu à de nombreuses imitations, il qualifie aujourd’hui un certain type de régime politique. Le fascisme est d’abord une organisation de l’État qui vise à la réalisation pratique d’une idée essentielle. Il est en quelque sorte l’aboutissement monstrueux d’un idéalisme forcené : niant l’évidence des conflits ou des contradictions entre les intérêts des diverses classes et des groupes sociaux, il cherche à les réconcilier dans l’accomplissement du destin d’une communauté qui n’existe que dans l’esprit de ses dirigeants. C’est ainsi que Mussolini, ne pouvant suffisamment invoquer l’histoire de la nation italienne, de création récente, trouva ses symboles et son imagerie dans la Rome antique, tandis que Hitler alla chercher encore plus loin son idée force : le pseudo-concept nazi de race est si confus et l’histoire des Aryens si mal connue que l’on peut affirmer n’importe quoi, y compris la suprématie de ceux-ci et leur incarnation germanique. D’autres « valeurs » orientant l’action peuvent aussi être proposées, qui, toutes, donnent au pays concerné une image idéale de lui-même et aux citoyens des âmes de héros. On peut noter, du reste, que l’appareil religieux, parfois à son corps défendant, est souvent utilisé par le fascisme.

Les traits principaux de l’organisation fasciste sont la politisation totale de la cité, le monolithisme et l’autoritarisme, la structure pyramidale de la société, l’élitisme mystique. La politisation totale implique que tous les gestes des citoyens ont une signification que seuls les gouvernants sont aptes à préciser, et la distinction entre vie privée et vie publique est abolie, tandis que les idées dominantes doivent être imposées à tous, fût-ce par la violence. Les membres du parti, puis, éventuellement, tous les citoyens sont rangés par ordre d’importance ; le supérieur détenant toujours la bonne interprétation par rapport à l’inférieur, il s’ensuit que la clé est détenue par le chef suprême. Enfin, le fanatisme mystique fait des chefs non seulement les représentants et les exécutants du pouvoir, mais aussi les détenteurs de la vérité absolue. Le culte de l’ordre apparaît ainsi comme ayant des résonances plus religieuses que purement politiques : nombre de gouvernements, autoritaires ou non, accordent un grand prix à l’ordre public, mais le fascisme en a une obsession quasi hystérique.

Les discussions continuent entre spécialistes sur les causes essentielles des victoires momentanées de ces régimes totalitaires. Il est certain que la crise économique et le désordre politique sont nécessaires pour qu’un mouvement fasciste réussisse à s’emparer du pouvoir, mais cela ne résout pas le problème du soutien populaire qui lui permet de s’y installer. En effet, contrairement à de nombreuses dictatures qui s’établissent à la faveur d’un coup d’État, le fascisme utilise un parti de masse ; sa tactique est de provoquer le désordre pour invoquer l’ordre et d’attirer ainsi l’assentiment et l’adhésion de la petite classe moyenne, la plus menacée de prolétarisation en cas de crise. De plus, ses slogans anticapitalistes et socialistes touchent facilement certains groupes plus défavorisés, tandis que les patrons de l’industrie ne voient pas d’un mauvais œil l’instauration d’un certain ordre dans leurs usines. Ce soutien très divers permet au parti fasciste de s’emparer des leviers de commande à la faveur d’une élection générale. Après seulement, le parti modifie la Constitution pour se maintenir au pouvoir. Du reste, ce processus ne fut parfaitement réalisé qu’en Italie, au Portugal et en Allemagne. Dans ce dernier pays, le puissant parti communiste crut longtemps que le nazisme était un feu de paille aveuglant provisoirement les masses ; il négligea le fait qu’au début des mesures réellement socialistes furent prises et que des sociaux-démocrates et des communistes sincères se laissèrent abuser. Wilhelm Reich a aussi émis l’hypothèse, bien avant la victoire nazie, que la répression sexuelle subie par le peuple rendait possible un soulagement libidineux dans les phantasmes sadiques de l’ordre nouveau (Psychologie de masse du fascisme). Enfin, le fascisme ne touche jamais profondément aux structures économiques ni aux structures familiales, différant essentiellement en cela avec certains autres régimes totalitaires.

A. G.

M. V.

➙ Empire colonial italien / Italie / Mussolini (B.).

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