Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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fantastique (le) (suite)

• L’au-delà. Les récits classiques des livres des morts égyptiens, le mythe d’Er le Pamphylien de Platon et le Songe de Scipion de Cicéron, qui décrivent l’autre monde, sont moins utiles aux écrivains fantastiques que les expériences des spirites et des occultistes. Les Anglo-Saxons, qui se passionnent sur ce sujet (Conan Doyle, Algernon Blackwood, Montague Rhodes James, James O’Brien, Poe, Hawthorne, Lovecraft), ont dépeint avec une pétulante horreur les ténèbres où les fantômes ont établi leur résidence. À l’opposé se situe le monde souterrain, le monde des cristaux, du feu, des forces telluriques (Hoffmann, Tieck, Novalis, Wagner).

• Les fantômes. Le culte rendu aux morts dans les religions primitives exprime plus la crainte de les voir revenir parmi les vivants que le désir d’honorer leur mémoire. Ils reviennent de l’au-delà pour persécuter un meurtrier ou tirer vengeance de leur meurtrier. Un conte de Kipling*, le Rickshaw fantôme, deux contes de Sheridan Le Fanu, le Familier, où un marin disparu revient obséder et tuer son ancien capitaine, et Mr. Justice Harbottle, où le juge est confondu devant une Haute Cour fantôme, illustrent ce thème avec éclat. Il y a aussi le nombreux peuple des âmes en peine qui ne peuvent jouir du repos dans l’au-delà sans qu’une certaine action ait été accomplie (The Haunted and the Haunters, de lord Lytton).

Henry James* n’est jamais allé, de son propre aveu, aussi loin « dans la hideur, la douleur et l’horreur infernales » que dans le Tour d’écrou, où deux enfants succombent aux entreprises de deux fantômes corrupteurs. Le couple maudit, un valet débauché et une femme perdue, apprend aux enfants à blasphémer Dieu, à tourner la morale en dérision et à s’abandonner aux passions interdites.

• Les spectres condamnés à une course éternelle. Le Moyen Âge a connu le Chasseur maudit, la Chasse sauvage et la Maisnie Hellequin ainsi que le Vaisseau fantôme du Hollandais volant. Deux Américains ont renouvelé le sujet au xixe s., William Austin dans Peter Rugg le Disparu (1824) et, avec humour et bonhomie, Washington Irving* dans Rip van Winkle, que Léon Daudet tenait pour un chef-d’œuvre du fantastique.

• Les vampires. Le vampire, mort et enterré, continue son existence en buvant le sang des vivants, qui, une fois morts, deviennent vampires à leur tour. Cette superstition, très ancienne dans la littérature (Sumer, Égypte, Israël et Chine du premier millénaire avant Jésus-Christ), a été étudiée par dom Augustin Calmet dans son Traité sur les apparitions (1751). Elle devait devenir un des thèmes principaux du genre fantastique : Hoffmann (dans le Comte Hippolyte), Balzac* (dans le Centenaire), Gautier* (dans la Morte amoureuse), Tolstoï* (dans la Famille du vourdalak) et surtout Sheridan Le Fanu avec Carmilla (1871) et Bram Stoker avec Dracula (1897). Celui-ci fait de Dracula l’incarnation du mal absolu, un avatar de Satan. Alors que le génie du fantastique se manifeste surtout dans le conte, Bram Stoker réussit à maintenir le ton et l’atmosphère pendant un long roman. C’est le cinéma qui a donné à Dracula son audience universelle.

• La séductrice fantôme. En Extrême-Orient, elle prend généralement la forme d’une renarde. Elle vient de l’au-delà, séduit et tue. Dans l’Araignée, de Hanns Heinz Ewers, elle fascine sa victime par son regard et sous l’apparence d’une araignée comme dans le dessin d’Odilon Redon. Elle peut aussi, comme la lady Arabella de Bram Stoker dans le Repaire du ver blanc (1911), être une femme-serpent, incarnation du dragon préhistorique.

• La chose horrible. L’horreur se manifeste à l’état pur : il est difficile de distinguer si c’est un homme, un animal, un être vivant, une chose animée, un mort ou un non-mort qui en est la cause. Cette monstrueuse « créature », invisible et présente, inspire le dégoût et l’épouvante ; elle obsède, elle pousse à la folie et au suicide, elle tue aussi. Le conte le plus saisissant reste le Horla, de Maupassant*, mais il faut lire aussi l’Infernale Créature, d’Ambrose Bierce, et Qu’était-ce ?, de James O’Brien, qui fait agoniser le monstre par inanition.

• La dégradation de la matière vivante quand l’âme ou la conscience déserte le corps. Poe a traité le sujet dans le Cas de M. Valdemar, et surtout Arthur Machen dans la Lumière intérieure (1895). Un savant réussit à extraire l’âme de sa femme et à l’introduire dans une opale, qui se met à resplendir. La victime a consenti à l’expérience pourvu que son mari la tue sitôt le transfert accompli. L’autopsie du cerveau révèle que celui-ci est devenu celui d’un animal inférieur ou d’un démon.

• L’existence d’un « autre univers » qui se combine avec celui où nous vivons. Arthur Machen le découvre dans les profondeurs de son pays natal ; résurrection des cultes primitifs dans le Grand Dieu Pan (1895), du « petit peuple » des fées dans le Peuple blanc et des pratiques de la sorcellerie dans le Cachet noir. Son disciple américain Lovecraft reprit le thème en situant son « ailleurs » dans des régions lointaines ou imaginaires : Dagon et le Cauchemar d’Innsmouth. L’ailleurs peut être aussi la quatrième dimension des physiciens comme dans l’Affaire Pikestaffe, d’Algernon Blackwood.

• Les grands ancêtres. Ils sont particuliers à la mythologie inventée par Lovecraft : dieux terrifiants, cultes sauvages, pratiques répugnantes. Lovecraft aime à contempler ce qu’on ne doit pas voir (la Tombe), à concilier ce qui ne peut se rejoindre, à mettre en rapport l’abominable avec le quotidien.

• Les monstres créés par des savants. Une légende judéo-tchèque rapporte que le rabbin Loew, de Varsovie, réussit à animer une statue d’argile, le golem, et à lui conférer la vie en lui glissant une formule magique sous la langue. Un soir, la chose ainsi créée s’échappe et sévit contre son créateur. Tel est le sujet du Golem (1915), de Gustav Meyrink.

Le savant Frankenstein ou le Prométhée moderne, comme l’appelle Mary Shelley en 1818, possédé par l’ambition luciférienne de rivaliser avec Dieu, recompose une machine vaguement humaine avec les débris de salle d’anatomie. Grâce au galvanisme, il parvient à lui insuffler un semblant de vie, mais non l’âme ni la conscience, de sorte que le pauvre monstre commet crime sur crime. Ce mythe, comme celui du vampire, est devenu populaire grâce au cinéma.

L’Ève future (1886), de Villiers de L’Isle-Adam, est un être artificiel créé par Edison, par l’électrochimie et le magnétisme, « doté de tous les chants de l’Antonia de Hoffmann, de toutes les mysticités passionnées des Ligéias de Poe, de toutes les séductions ardentes de la Vénus de Wagner ».

Isabelle d’Égypte (1812) d’Arnim et la Mandragore (1911) de H. H. Ewers parlent de ce « golem » particulier qu’est la mandragore née de la semence d’un pendu et qui possède un pouvoir de fascination universel.