Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
F

famille (suite)

Il n’échappe pas non plus que, si la famille est un centre où s’harmonisent personnalisation et socialisation, elle ne peut se résigner à demeurer dans l’isolement dans lequel tend de plus en plus à la maintenir la société occidentale moderne, et que l’épanouissement affectif et l’éducation véritable de ses membres supposent, de sa part, le rejet de tout intimisme, une ouverture à la vie sociale et une affirmation de ses dimensions politiques.


Les trois stades de l’évolution de la famille

Sans remonter au-delà du xviiie s., il est permis de reconnaître l’existence en France de trois époques.

Au cours de la première période, qui s’achève vers le milieu du xixe s., la société est caractérisée par l’existence de petites unités économiques, exploitations agricoles et artisanales, petites manufactures. La famille traditionnelle de type patriarcal, qui coïncide avec ces unités économiques, constitue le type nettement dominant.

Au cours de la deuxième période, qui débute avec les grandes vagues d’industrialisation du siècle dernier et qui s’est achevée vers 1950, la société est caractérisée par la coexistence d’unités économiques petites (les mêmes que précédemment) et d’autres, moyennes ou grandes, les entreprises industrielles qui se créent ici et là. La famille moderne voit le jour en milieu urbain. Mais aucun des deux types n’apparaît prédominant, même si l’image de la famille à laquelle l’opinion se réfère en général, et qui transparaît au travers de la littérature par exemple, correspond au modèle ancien.

Au cours de la troisième période, enfin, caractérisée par l’apparition d’unités économiques de plus en plus grandes, la famille moderne nucléaire et égalitariste tend très nettement à prédominer. Quels sont les facteurs d’explication d’une telle évolution ?

Le premier facteur d’explication de cette évolution semble être le salariat, dont les progrès ont accompagné le développement de l’industrialisation. L’avoir familial existe de moins en moins pour un très grand nombre de familles. Les regards, les comportements ne se polarisent plus autour de la terre, de l’entreprise ou de l’affaire. Sans réduire la famille traditionnelle à un nœud de relations d’intérêt, il est toutefois permis d’affirmer que, comparées à elle, les familles salariées d’aujourd’hui se trouvent « délivrées » de l’entrave qu’imposait la préoccupation constante du bien à transmettre et du trouble que cela introduisait dans les relations interpersonnelles.

Mais le salariat n’explique pas seul que la famille revête les formes exposées ci-dessus. Au cours de la deuxième des trois périodes distinguées, la famille ouvrière n’exerce pas vraiment les fonctions que l’on a présentées comme fondamentales de la famille urbaine moderne. La dimension affective y paraît aussi faible qu’elle l’était dans la famille traditionnelle, rurale ou bourgeoise. L’économique y prime, sans qu’il soit question de patrimoine. La famille se présente avant tout comme une unité de consommation. Le mari va au dehors louer son travail et ramène un salaire que la femme essaie d’utiliser, autant que faire se peut, pour la satisfaction des besoins matériels des membres de la famille. Tout au long de cette deuxième période, le principal souci pour les familles ouvrières est de vivre, sinon de survivre.

Le second facteur explicatif de l’évolution de la famille est l’augmentation du niveau de vie dans les années 50 ou, si l’on préfère, la transformation dans les conditions de vie de l’ensemble de la population. Quand certains problèmes matériels sont résolus ou en voie de l’être dans les familles qui ne sont pas préoccupées par le souci de conserver, d’augmenter et de transmettre des biens, la psychologie affleure. Alors se fait sentir la nécessité du dialogue pour créer ou recréer l’intimité indispensable à l’épanouissement des conjoints ; alors s’intensifie le désir d’une bonne compréhension de la mentalité et des besoins psychologiques des enfants.

C’est pour cette raison que le schéma proposé de la famille moderne correspond principalement au type de famille caractéristique des « classes moyennes » (ou plus justement des « nouvelles classes moyennes ») et, d’une manière plus précise encore, des couches moyennes des « classes moyennes », c’est-à-dire de celles qui ne sont ni trop proches du prolétariat, où des problèmes matériels urgents se posent encore, ni trop proches de la bourgeoisie et du monde des professions libérales, où le souci de la sauvegarde d’un patrimoine demeure.

C’est la famille de ces « couches moyennes » qui représente le support du nouveau modèle de structure égalitaire, appelé à s’étendre progressivement à l’ensemble des classes de la société.

Pour comprendre les changements qui commencent à se faire jour dans les milieux autres que ceux des classes moyennes, il faut cependant, en dehors des facteurs socio-économiques tels que le développement du salariat et l’augmentation du niveau de vie, faire également appel à des phénomènes socioculturels. Il convient en effet d’accorder une grande place à l’influence de la société globale par l’intermédiaire des mass media, à l’influence également de certains groupements (celle des mouvements catholiques en milieu rural par exemple) qui ont une conception de la famille et la communiquent à leurs adhérents et à ceux sur qui ils exercent une action directe ou lointaine. Il importe en outre de souligner que diverses valeurs semblent attachées aux formes nouvelles de la famille et que certains modèles apparaissent plus valables que d’autres et par conséquent plus dignes d’être adoptés.

R. B.

➙ Éducation / Familiale (politique) / Femme.

 J. Lacroix, Force et faiblesse de la famille (Éd. du Seuil, 1949). / C. Lévi-Strauss, les Structures élémentaires de la parenté (P. U. F., 1949 ; nouv. éd., Mouton, 1969). / P. H. Chombart de Lauwe, la Vie quotidienne des familles ouvrières (C. N. R. S., 1956). / P. H. Chombart de Lauwe (sous la dir. de), Famille et habitation (C. N. R. S., 1959-60 ; 2 vol.). / A. Michel, Famille, industrialisation, logement (C. N. R. S., 1959) ; la Sociologie de la famille (Mouton, 1971) ; Sociologie de la famille et du mariage (P. U. F., 1972). / P. Ariès, l’Enfant et la vie familiale sous l’Ancien Régime (Plon, 1960). / W. J. Goode, The Family (Englewood Cliffs, New Jersey, 1964). / A. M. Rocheblave-Spenlé, les Rôles masculin et féminin (P. U. F., 1964). / H. Touzard, Enquête psycho-sociologique sur les rôles conjugaux et la structure familiale (C. N. R. S., 1967). / J.-L. Flandrin, Familles. Parenté, maison, sexualité dans l’ancienne société (Hachette, 1976).