Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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faim (suite)

Terres en friche et terres dégradées

L’accroissement de la production de protéine animale se heurte à l’impossibilité d’accroître les superficies consacrées aux herbages, qu’il faut même songer à réduire au profit d’autres cultures. Les protéines végétales sont de valeur biologique moindre que les protéines animales, et les recherches des chimistes pour augmenter leur valeur nutritive se sont jusqu’ici heurtées à des difficultés de prix de revient ou de tolérance par l’organisme.

Parmi les conséquences de la malnutrition, il en est une qui crée un véritable « cercle vicieux ». Les habitants mal nourris sont dans l’incapacité d’assurer des durées normales de travail : 1 500 à 2 000 h de travail par personne et par an, alors qu’en Europe occidentale, au moment où les résultats de l’agriculture ont permis les débuts de l’industrie, on comptait 4 000 à 5 000 h annuelles. Il en résulte des rendements déplorables. Sur les 200 000 habitants de plus que compte chaque jour la planète, 72 p. 100 font partie de la population du tiers monde. Il est utile ici de reproduire les chiffres publiés par la F. A. O. :

Certains continents ou régions disposent donc de 10 fois plus de production que d’autres par habitant. Mais, comme l’a constaté le président de l’Union indienne dans son message de 1969 au Parlement, « la diminution massive de la mortalité infantile et l’augmentation de la durée de la vie ont créé une situation d’accroissement démographique dépassant les progrès constatés dans les productions agricoles ». Les deux caractéristiques de l’agriculture du tiers monde sont : une sous-production vivrière entraînant la malnutrition et les carences ; une récolte de produits d’exportation bruts n’ayant subi aucune valorisation par des industries locales. Les techniques modernes, découvertes et mises au point grâce à des laboratoires et à des possibilités industrielles, ne s’inventent ni ne se créent sans qu’il soit remédié à l’ignorance ancestrale. Celle-ci provoque à la fois, et paradoxalement, la sous-utilisation des sols et leur usure prématurée. Le tiers monde se situe en des zones où le climat comporte une longue saison sèche avec des sols qui auraient besoin d’infiniment plus de soins que dans les régions tempérées (soins comparables à ceux auxquels, notamment dans les régions montagneuses d’Europe, les populations se sont astreintes pour assurer leur subsistance) ; or, les terres ne sont travaillées qu’avec des moyens primitifs, souvent en simple culture annuelle extensive et, faute d’espace, en appauvrissant les sols, jamais laissés en repos et sans aucun recours aux possibilités d’engrais.


Les protéines de synthèse

D’autres ressources ont donc été recherchées, telles que l’utilisation des acides aminés de synthèse, dont le premier est la méthionine. En 1964, 5 000 t ont été produites, dont la moitié en France, et leur introduction a eu lieu dans l’engraissement des porcs et des volailles (12 g de méthionine équivalent à la teneur en protéines de 1 kg de farine de poisson). Les recherches d’application se poursuivent, car certains inconvénients ont été constatés dans la qualité des produits d’élevage obtenus. Un autre acide de synthèse est actuellement étudié : la lysine, déjà mise sur le marché à un prix très élevé.

Il a été également entrepris en plusieurs pays, notamment par le professeur P. Chouard au phytotron de Gifsur-Yvette, des expériences sur la culture des algues* (genre Chlorella). Le problème qui se pose est de multiplier le rendement énergétique de la photosynthèse, l’ensoleillement comportant une énergie que l’on a calculée égale à 4 200 kWh/m2 et par an au Sahara, ce qui permet de pallier la pauvreté des sols.

Des études très intéressantes ont également lieu en vue de la culture sans sol, dite « culture hydroponique » : la plante se développe dans l’eau, mélangée parfois à de la sciure de bois. Une voie prometteuse a été aussi découverte, celle des « protéines de pétrole », obtenues par le développement de levures et de bactéries, matières protéiques, sur la paraffine existant en grande quantité dans certaines fractions du pétrole, sans nuire aux possibilités de raffinage. Les essais des chercheurs de la British Petroleum, effectués principalement à Lavéra (près de Marseille) par A. Champagnat, ont montré un potentiel de 20 Mt de protéines dont la production mondiale est possible à un taux compétitif du même niveau que celui de la protéine de soja. Cet appoint est important dans un monde où, selon les calculs de la F. A. O., les 25 Mt de protéines animales de 1965 devront devenir 42 Mt en 1980 et 65 Mt en l’an 2000, chiffre que, dans l’état actuel de la science, seule la production de protéines non traditionnelles permettra d’atteindre, si excellent que soient les résultats obtenus dans l’accroissement des productions des protéines végétales : algues, feuilles, graines, céréales, légumineuses et tourteaux d’oléagineux. Tout cela ne peut donner des résultats que lentement, car il ne suffit pas de présenter des aliments nouveaux aux hommes et aux bêtes, pour que leur consommation soit aussitôt acceptée. Et même si la volonté, pour les humains, agit pour aider à l’établissement de conditions nouvelles, les organes digestifs, mis à l’épreuve, sont parfois plus réticents.


Une situation postcoloniale ou néo-coloniale

Dans de nombreux pays, c’est l’indispensable réforme agraire qui n’a pas lieu, et les populations misérables qui entourent de bonnes terres mal utilisées. Ainsi se motive l’émigration admise ou clandestine vers les pays nantis, où s’accumule une main-d’œuvre sans spécialisation, sans aucune préparation à la vie moderne, foyers de révoltes, en partie justifiées par les abus de toutes sortes dont sont victimes les « personnes déplacées ».

La distribution du monde entre deux types de nations, les pays industrialisés et ceux qui sont conçus et organisés pour être des fournisseurs de matières premières, a créé un déséquilibre qui est devenu explosif à partir du moment où, par une application partielle de la charte des Nations unies, la période coloniale a pris fin et où les pays ex-colonisés ont connu ce que Diderot avait prévu dans une phrase prophétique : « Ce qui est intolérable, ce n’est pas d’avoir des esclaves, mais c’est d’avoir des esclaves et de les appeler des citoyens. » L’indépendance n’est pas réelle s’il n’y a rien de plus qu’un drapeau, un siège à l’O. N. U. et un gouvernement qui, de sa capitale, envoie à l’étranger de nombreux ambassadeurs, mais qui financièrement est dans l’incapacité de faire un plan de développement ou de s’intégrer dans les échanges internationaux. Les pays ex-colonisés sont restés des producteurs de matières premières à peu près sans aucune industrie locale, sans autre commerce que les exportations vers les pays industriels, sans plus d’échanges entre eux qu’ils n’en avaient lorsqu’ils étaient les fiefs des métropoles colonisatrices. En fait, le diagnostic a pu être fait partout : on sait que, pour deux tiers des habitants de la Terre, la production vivrière est insuffisante, et que même la mise au point de semences sélectionnées n’a permis que des améliorations encore à peu près partout inférieures aux besoins des populations, dont le croît, lui, est géométrique.