Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Fabiens

Association socialiste anglaise.



Origine

En 1883-84 se constitue à Londres un minuscule groupe socialiste qui prend le nom de Société fabienne. À cette obscure association adhèrent bientôt deux hommes qui vont en prendre la tête comme théoriciens et comme tacticiens : Bernard Shaw*, alors simple journaliste besogneux, et un de ses amis, fonctionnaire au ministère des Colonies, Sidney Webb. Pendant plusieurs années, la Société piétine. Elle ne prend son essor qu’à partir de 1889 avec la publication des importants Fabian Essays. Encore est-elle peu connue du public, car elle reste l’apanage d’une minorité assez disparate d’intellectuels et de bourgeois. C’est l’époque où Béatrice Potter, la brillante fiancée de Webb, parle encore avec mépris de « cette petite bande de farfelus de banlieue ». Pourtant, un demi-siècle plus tard, en 1945, le suffrage universel, sous le coup d’un raz de marée travailliste, plaçait à la tête de l’Empire britannique un gouvernement où siégeaient une quarantaine de Fabiens et que présidait un Premier ministre fabien, Clement Attlee (1883-1967), appuyé par une majorité où 229 députés (sur les 394 représentants du Labour) étaient membres de la Société fabienne. Dans l’intervalle, parmi les personnalités qui avaient milité dans la Société, on relève les noms de J. Ramsay MacDonald, H. G. Wells*, Bertrand Russell*, Graham Wallas (1858-1932), Leonard et Virginia Woolf*, Harold J. Laski (1893-1950), etc. Par le fabianisme ont passé la plupart des hommes politiques et des intellectuels de la gauche britannique.

Les Webb

C’est le couple le plus célèbre du socialisme anglais : Sidney (1859-1947) et Beatrice (1858-1943) WEBB ont imprimé leur marque de façon décisive non seulement sur le fabianisme, mais sur tout le mouvement travailliste. À bien des égards, le cadre de l’« État-Providence » dans lequel a été moulée l’Angleterre contemporaine est issu de leurs vues sur la transformation scientifique de la société, transformation opérée d’en haut grâce à des experts éclairés, judicieusement placés aux postes clefs. Chez eux, la science sociale et l’action se mêlent sans cesse et s’épaulent mutuellement. Associant pendant plus de cinquante ans deux cerveaux remarquablement organisés, deux énergies inlassables, deux immenses capacités de travail, la « maison Webb », comme l’appelait familièrement Beatrice, a consacré ses labeurs, doctrinaux et pratiques, aux enquêtes sociales, à la théorie économique et politique, aux recherches historiques, à d’innombrables commissions et comités. Mais ces infatigables rédacteurs de rapports tiennent aussi un salon socialiste où se retrouvent esprits avancés, politiciens, syndicalistes. À eux seuls, ils ont constitué un très efficace groupe de pression. De cette passion pour une réforme sociale rationnelle, planifiée et graduelle, témoignent des milliers de pages de livres, de brochures, de rapports officiels, de tracts. Parmi les plus célèbres, citons en 1894 The History of Trade Unionism (aussitôt traduite en français), Industrial Democracy (1897), les dix volumes de English Local Government (1906-1929), Soviet Communism : a New Civilization ? (1935). En 1929, Sidney Webb est élevé à la pairie sous le nom de lord Passfield, mais sa femme, bien qu’originaire de la grande bourgeoisie industrielle, refuse le titre de « lady » et continue de se faire appeler Beatrice Webb.


D’où vient le nom « Fabiens » ?

Les membres du groupuscule créé en 1883 étaient bien décidés à faire pénétrer le socialisme en Angleterre, mais ils étaient convaincus que ce ne serait possible que peu à peu. Aussi décidèrent-ils d’adopter une tactique qui leur paraissait à la fois habile et réaliste en prenant comme modèle de combattant Fabius Maximus Verrucosus « Cunctator » (le Temporisateur). La devise de la Société proclame : « Il faut savoir attendre le bon moment, comme Fabius l’a fait patiemment dans sa lutte contre Hannibal, malgré les critiques dont il était l’objet pour sa lenteur ; mais quand le moment viendra, il faudra frapper fort, comme l’a fait Fabius. » C’est donc un socialisme réformiste (un gradualisme), décidé à saisir le moment opportun et à pratiquer l’art du possible.


Doctrine et action

L’objectif poursuivi par les Fabiens, c’est la transformation globale de la société par l’appropriation collective et la gestion au profit de la collectivité des moyens et biens de production : la terre, les capitaux, les industries... Ainsi sera mis fin aux privilèges et monopoles d’une minorité souvent oisive. L’émancipation des individus permettra l’égalité de tous. Mais cette transformation doit être obtenue par la persuasion. Les Fabiens optent délibérément pour un processus démocratique. Ils s’inscrivent dans la tradition constitutionnelle anglaise. Les moyens choisis sont légaux : violence et insurrection sont exclues. D’où l’importance de la propagande pour diffuser la doctrine. La Société multiplie les conférences, les tracts, les publications, destinés à éclairer les esprits, à dissiper les erreurs du libéralisme économique et à convaincre des bienfaits du socialisme.

À côté de cette agitation par la parole et par la plume, les Fabiens prônent l’action locale : ils se font élire dans les municipalités et les organes de l’administration locale (assistance, santé, écoles), en particulier à Londres, afin de commencer à faire entrer dans la pratique leurs principes doctrinaux. C’est ce qu’on a appelé le socialisme municipal, qui vise à démontrer que, loin d’être irréalisables, les théories socialistes peuvent trouver un début d’application au bénéfice de tous. En même temps, la Société fabienne essaie d’agir sur le gouvernement en exerçant pressions et infiltrations du côté du parti libéral (tactique de la « perméation »), ensuite en contribuant à la création du parti indépendant du travail (1893), puis du comité pour la représentation du travail (1900), qui deviendra le parti travailliste (1906). En 1912 est créé le Département de recherche fabienne, dont la mission est d’une part d’élaborer des solutions économiques et sociales pour répondre aux problèmes du jour, d’autre part d’installer de plus en plus de socialisme dans le parti travailliste. C’est également aux Fabiens qu’est due en 1895 l’idée de la London School of Economics, institution universitaire bâtie sur le modèle de l’École des sciences politiques, ainsi qu’en 1913 la fondation du New Statesman, le plus influent hebdomadaire de gauche britannique jusqu’à aujourd’hui. Ainsi, l’idéologie fabienne s’est insinuée dans le mouvement travailliste.