Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

évolution biologique (suite)

Le phénomène de substitution

Souhaitant étudier l’évolution des populations de Drosophiles, Alexandre Henri Tessier et Charles Louis L’Héritier ont conçu une cage à population (démomètre) permettant le maintien de populations expérimentales comptant plusieurs milliers d’individus pendant des années. Quelles que soient les proportions initiales de Drosophila melanogaster et funebris, au bout de quelque temps, les melanogaster prédominent nettement ; le nombre d’individus des deux espèces demeure stable pendant plus d’une année, avec environ 2 p. 100 de funebris ; melanogaster est plus féconde, et son développement plus rapide. Mais si la température descend de 25 à 15 °C, la situation s’inverse ; c’est pourquoi les melanogaster habitent les régions tempérées, les funebris, les régions plus froides.

Si quelques individus sauvages de melanogaster sont placés dans une population de mutants bar ou ebony, au bout de vingt mois la forme sauvage domine nettement ; il reste environ 1 p. 100 du mutant bar et 14 p. 100 du mutant ebony. Le nouvel équilibre, une fois établi, persiste ; la sélection pourrait être qualifiée de normalisante, d’équilibrante ; elle n’exerce pas un tri entre bons et mauvais gènes : elle laisse subsister certains gènes délétères dont l’action néfaste est masquée ou équilibrée par d’autres gènes.

Dans la nature se trouvent des exemples des trois possibilités du phénomène de substitution : mutant inférieur au type (la grande Chélidoine et son mutant, la Chélidoine laciniée ; les Vertébrés à pigmentation normale et les mutants albinos) ; mutant égal au type (Escargot des bois, Helix nemoralis, et Escargot des jardins, H. hortensis ; les Coccinelles à deux ou trois points rouges sur chaque élytre noir) ; mutant supérieur au type (mutants mélaniques du Papillon Biston betularia).

La sélection peut intervenir dans la substitution d’une mutation au type original, mais la fécondité différentielle joue un rôle important ; une race féconde déplace une autre race moins féconde. Les mutations les plus favorables intéresseront tout ce qui assure une fécondation plus certaine, un développement plus direct et une protection accrue des jeunes.


Le mutationnisme

Le darwinisme orthodoxe avait été l’objet d’une première modification (1880), proposée par les ultradarwinistes ; il en subit une seconde vers 1900, quand naquit une nouvelle théorie explicative, le mutationnisme, conçue par Hugo De Vries (1848-1935).

À la variation continue de Lamarck et de Darwin, De Vries substitue la variation discontinue, ou mutation d’emblée héréditaire. La redécouverte des lois de Mendel renforça grandement le mutationnisme, en montrant comment les mutations se transmettent, se combinent et engendrent des nouveautés. Avec des mutations inscrites dans le patrimoine héréditaire et leur transmission lors des croisements, le mutationnisme fait intervenir le jeu d’une sélection conservatrice du type moyen, donc moins efficace que celle qui fut conçue par Darwin. En accord avec les ultradarwinistes, l’hérédité des caractères acquis est rejetée. Une hypothèse nouvelle préconisée dès 1902 par Lucien Cuénot (1866-1951), la préadaptation, s’incorpore dans le mutationnisme ; elle peut être considérée comme un aspect particulier de la sélection naturelle. Elle permet de comprendre comment un animal peut échapper à un milieu ou à des conditions de vie et conquérir un nouveau biotope ou pratiquer un nouveau mode de vie.

Préadaptation et peuplement des places vides constituent peut-être un élément important de l’évolution. Lors des grands changements de milieu (glaciations, réchauffements...), des niches écologiques nouvelles se constituent ; des mutants préadaptés appartenant aux populations antérieures pourront s’y installer, y survivre et se multiplier grâce à la sélection ; les espèces vont se diversifier et occuper les divers biotopes ; c’est le phénomène d’expansion adaptative, bien net dans les biotopes isolés (îles, lacs, montagnes).


Critiques du mutationnisme

Le mutationnisme comprend quelques points solides : mutation, transmission des mutations, non-hérédité des caractères acquis par le soma, préadaptation. Il permet une interprétation de la micro-évolution, c’est-à-dire de l’évolution au niveau de l’espèce. Comme les autres théories, il n’explique pas la typogenèse, la naissance des grands groupes, pas plus que le fait de l’adaptation. Il accorde une large part au hasard : la mutation est un phénomène de hasard, la découverte d’une place vide relève du hasard. Comment concevoir que des mutations de hasard engendrent des séries ordonnées ou des organes aussi complexes qu’un œil, qui nécessiteraient de nombreuses corrélations entre tous ces hasards successifs ? Le principe même de la théorie soulève des critiques. Quelle est la valeur évolutive des mutations ? Elles sont en général soustractives et rarement additives ; surtout, elles ne sont pas constructives et n’apportent rien de nouveau. Tous les mutants des Drosophiles demeurent des Drosophiles facilement identifiables. Or, au cours de l’évolution, apparaissent des caractères nouveaux, d’authentiques novations dont la genèse reste toujours obscure.


Les théories éphémères

Pour mémoire, nous mentionnerons quelques petites théories au succès plus ou moins éphémère : le psycholamarckisme d’A. Pauly (1905), l’entéléchie de Hans Driesch, la conception organismique de Ludwig von Bertalanffy (1928), l’holisme de Jan Christiaan Smuts (1916), la normogenèse de Lev Semionovitch Berg (192), l’ologenèse de Daniele Rosa (1904), l’aristogenèse de H. F. Osborn...


La théorie synthétique de l’évolution

Cette théorie, préconisée vers 1930, repose sur les observations de zoologistes (E. Mayr, Rensch, T. H. Huxley, G. Teissier), de botanistes (G. Ledyard Stebbins, Grant), de paléontologistes (Simpson, I. I. Schmalhausen), de généticiens (C. D. Darlington, M. Y. D. White, E. B. Ford) et de mathématiciens (J. B.-S. Haldane, R. A. Fischer, S. Wright). Elle est une synthèse entre les théories néo-darwiniste et mutationniste.