Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

évêque (suite)

La fonction locale et la tâche universelle des évêques

Pour Ignace d’Antioche (ier s. apr. J.-C.), l’évêque est avant tout le président de l’Église locale (Épître aux Magnésiens, chap. vi). L’unité de la communauté se manifeste dans l’unité autour de l’évêque. Cette union des fidèles avec leur évêque est une initiation à l’union incorruptible avec Dieu et une image de la vie éternelle. Ainsi, l’évêque est appelé par Ignace le « type » du Père. Cette vision est toujours demeurée vivante dans l’orthodoxie. Elle fonde l’idée de la collégialité, qui joue d’abord au plan local ; l’évêque tient dans le presbyterium (collège des prêtres) la place du Père comme Jésus au milieu des apôtres.

À cette conception locale de l’évêque s’en est ajoutée cependant très tôt une autre, quand il devint nécessaire dans l’Église, en face des hérésies naissantes, de manifester l’accord entre tous les fidèles. Le concile de Jérusalem avait été la première expression d’un tel accord ; les conciles d’évêques en furent une nouvelle forme. À partir du iiie s., surtout, lors de la crise montaniste, les évêques prirent conscience du rôle qu’ils avaient à jouer en tant que collège. Pour saint Cyprien, l’épiscopat est « un », car tous les évêques siègent sur la « chaire de Pierre », en confessant comme lui la vraie foi : « En obéissant à son évêque, c’est à tout l’épiscopat qu’on obéit » (Épître, lix, 51). « La dignité épiscopale est une, et chaque évêque en possède solidairement une parcelle sans division du tout » (De unitate, chap. v).

Tout en recevant une portion définie du troupeau total, chaque évêque est donc en même temps évêque de l’Église catholique tout entière ; il garde personnellement un rapport au tout. Il appartient à un ordre, c’est-à-dire occupe un degré, mais aussi et surtout fait partie d’un corps, occupe une place responsable dans une fonction remplie solidairement. Il actualise cet ordre de bien des façons, et d’abord dans sa propre Église, mais le plus formellement et le plus clairement quand, en union avec tous les évêques et sous la présidence de l’évêque de Rome, successeur de Pierre, il siège au concile, où il est dans la communion de toute l’Église, témoin et juge de la foi reçue des apôtres.

L’ordination épiscopale, dans laquelle le nouvel élu reçoit le pouvoir de « paître » les fidèles, n’est pas un acte purement personnel, par lequel un individu déjà consacré communique à un autre individu des pouvoirs qu’il possède. C’est un acte collectif du corps épiscopal qui agrège le nouvel élu à l’ordre des évêques. Les pouvoirs exercés par l’évêque sont reçus sacramentellement ; le pape dans l’Église latine, ou pour l’Orient le synode ne font qu’en fixer l’étendue et en contrôler l’exercice. Il faut donc distinguer l’accession à l’épiscopat, qui requiert une ordination, et l’accession à la fonction de patriarche ou à la papauté, qui repose sur des élections seulement et ne sont pas sacramentelles.

Dans l’Église catholique, où l’évêque de Rome est considéré comme la tête et le chef du collège épiscopal, la primauté qu’il exerce ne doit cependant pas être conçue comme le plaçant au-dessus du collège ; c’est une primauté à l’intérieur de ce collège. Ce que Jésus-Christ a confié à Pierre, en effet, il l’avait confié également aux douze apôtres ensemble, en sorte que, dans la personne de Pierre, s’unifiaient et se récapitulaient leur responsabilité et leurs pouvoirs.

En tant que successeur de l’apôtre Pierre, l’évêque de Rome a reçu au sein du collège des évêques la fonction d’exprimer avec autorité l’unité du collège dispersé sur toute la Terre. Ne pouvant accomplir cette charge motu proprio et à lui seul, mais seulement en se fondant sur les échanges et sur le consensus vivant entre les évêques, il s’adjoint à titre de conseil des organismes appropriés, en particulier, depuis le concile Vatican II, le synode épiscopal.


Modes de nomination

La procédure pour désigner le candidat à l’épiscopat a beaucoup varié au cours des temps. Comme l’évêque doit être le « président de la charité » (Ignace d’Antioche), il convient qu’il soit élu. Telle était la coutume dans l’Église primitive : « Qu’on ordonne comme évêque celui qui a été choisi par tout le peuple » (Tradition apostolique, § 2). Sur la forme de cette élection, il n’y avait pas de règle précise ; en fait, le candidat soumis à l’approbation de la communauté paraît avoir été le plus souvent proposé par le clergé ou par les évêques des régions avoisinantes. Cette procédure fut finalement établie en 429 par le pape Célestin Ier (422-432) dans une lettre aux évêques des Pouilles et de Calabre (Patrologie latine, L, 437). L’élu devait toujours être consacré par trois évêques en signe de la collégialité de l’épiscopat.

Après la formation des royaumes barbares, la liberté des élections fut battue en brèche par la puissance temporelle. Les rois mérovingiens furent les premiers à intervenir dans le choix des évêques ; en 549, le concile d’Orléans admit que la consécration épiscopale requérait une autorisation royale. Les rois allèrent d’ailleurs souvent plus loin, nommant d’eux-mêmes des évêques sans se préoccuper de l’élection préalable. Cette intervention des princes prit bientôt rang de droit, alors même que les conciles rappelaient constamment l’obligation des élections canoniques.

Dans les pays germaniques, les empereurs othoniens se rendirent entièrement maîtres des élections. En France, la prérogative fut laissée aux seigneurs ; à la mort d’un titulaire, le seigneur signifiait au chapitre cathédral le « congé d’élire », ou sinon nommait de lui-même l’évêque. Certains diocèses, toutefois, obtinrent du seigneur un privilège leur laissant la liberté de l’élection. Mais la nomination faite, avec ou sans élection, il fallait encore procéder à la prise de possession, ou investiture, avec l’assentiment du seigneur, puis à l’hommage, avec remise du bâton pastoral et de l’anneau.

Au xie s., le Saint-Siège réagit contre cette situation créée par la féodalité et entreprit de libérer les ordinations épiscopales de l’ingérence laïque. Ce fut la « querelle des Investitures », qui se termina par l’accord de Worms (1122), confirmé au Ier concile du Latran (canon 3), qui sauva le principe de l’élection canonique.