Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

Europe (suite)

Si bien que, lorsque Hitler prend le pouvoir en 1933, le temps, en ce qui concerne l’Europe, est au pessimisme, non pas dans les masses — en général indifférentes —, mais chez les intellectuels. Une énorme littérature allant de Julien Benda (la Trahison des clercs, 1927) à Drieu La Rochelle (le Jeune Européen, 1927) traduit, entre les deux guerres, cette déception, l’obstination d’un Gaston Riou (Europe ma patrie, 1929) ou d’un Coudenhove-Kalergi (l’Europe unie, 1939) ne faisant que confirmer l’impression générale. Car l’Europe de Hitler sera une Europe d’esclaves, et il faudra attendre la chute (1945) du dictateur allemand pour que puisse être reprise, sur des bases saines, la construction d’une véritable Europe.

P. P.


Quelle Europe ?

Si loin que l’on puisse faire remonter les origines de l’idée d’Europe, il faut se résoudre, pour la voir naître vraiment, à attendre la fin de la Seconde Guerre mondiale. Les pays d’Europe ont alors à fournir un immense effort de reconstruction, cependant que le conflit laisse derrière lui le difficile problème des relations vainqueurs-vaincus.

L’intervention des États-Unis pour aider l’Europe est décisive : mais l’Europe doit s’organiser pour en bénéficier. Il s’agit d’aider l’Europe à se faire toute seule, non de la mettre sous la dépendance d’une gestion américaine. L’U. R. S. S. est invitée à bénéficier de cette aide à la reconstruction ; devant son refus, l’espoir d’une Europe unie, qui réglerait d’abord ses propres problèmes économiques et politiques, doit être abandonné ; il y aura deux Europes : l’Europe de l’Est (v. Comecon) et l’Europe occidentale. L’organisation de celle-là découle du système communiste, auquel elle est étroitement liée, tandis que l’organisation de l’Europe de l’Ouest est une conquête lente et difficile sur une économie de marché et un état d’esprit individualiste poussé, qui est d’ailleurs proclamé dans toutes les organisations européennes.

Gestation longue, naissance difficile : pour la pléthore des organisations européennes ou proeuropéennes de l’après-guerre, quelle Europe choisir ? et, dans les multiples institutions actuelles, où est l’Europe ?

On peut vouloir une Europe unie, intégrée, une sorte d’États-Unis d’Europe, comme le proposait W. Churchill, fédérée en une seule organisation avec parlement européen et gouvernement central, comme le voulaient R. Schuman et J. Monnet.

On peut aussi chercher à obtenir seulement une gestion saine et organisée de problèmes inévitablement communs ; commencer par prendre l’Europe là où elle existe dans les faits, partir de microréalisations européennes dans un esprit de coopération qui laisse à chaque pays sa souveraineté intégrale, et attendre de voir comment s’écrit l’histoire.

Les organismes existant aujourd’hui s’inscrivent tous dans le second schéma ; mais tous ne veulent pas écrire l’histoire de la même façon, et les chefs d’État et les gouvernements nationaux ne mettent pas sous le mot Europe le même but à atteindre : on pourra parler d’institutions de coopération, les plus nombreuses et qui regroupent le plus d’États européens (voire même non européens), et les rassembler sous le terme générique de grande Europe ; et d’institutions d’intégration, qui sont celles en fait de la petite Europe, récemment élargie ; on reprend ainsi la distinction de P. Reuter, qui précise bien cependant que, si ce vocabulaire correspond à la réalité actuelle, il faut le manier avec précaution.


Historique des organisations européennes (1945-1970)

L’opinion favorable à l’Europe de l’après-guerre se mesure à la multitude des organisations. Déjà, le 21 octobre 1943, les Pays-Bas, la Belgique et le Luxembourg signent le premier accord parmi ceux qui doivent aboutir au Benelux. Parmi les nombreux mouvements — politiques, syndicaux et sociaux —, il faut citer l’Union européenne des fédéralistes, le Comité international d’études et d’action pour les États unis d’Europe, United Europe Movement (Londres), le Conseil français pour l’Europe unie, l’Union parlementaire européenne, les Nouvelles Équipes internationales, la Ligue indépendante de coopération économique européenne, le Conseil des communes d’Europe. En juin 1947, un « comité de liaison de [ces] mouvements pour l’unité européenne » s’organise et réunit, du 7 au 10 mai 1948 à La Haye, tous les Européens, qui fondent, en février 1949, le « Mouvement européen ».

• L’aide américaine est, dès la fin de la guerre, présente partout ; elle est régie par de multiples accords bilatéraux, mais les Américains invitent constamment et fermement l’Europe à s’unir. Devant l’absence de réalité politique de l’Europe, c’est à l’O. N. U. tout d’abord que sont traitées les questions sur lesquelles les Européens sont divisés ; le 3 avril 1947, la Commission économique pour l’Europe commence une longue carrière. Le 12 juillet 1947, les représentants de 16 pays se réunissent pour la première fois à Paris (il faut noter l’absence de l’U. R. S. S.) et le 16 avril 1948 est signée la convention constitutive de l’Organisation européenne de coopération économique (O. E. C. E.), chargée de régler de difficiles problèmes de répartition de l’aide (« c’est l’affaire des Européens » [Marshall]), de coordonner certains investissements et de faciliter la libération des échanges, cloisonnés par une économie de guerre.

En avril 1949, cette coopération américaine et européenne aboutit logiquement au traité de l’Atlantique Nord.

• Les Européens eux-mêmes organisent leur défense autour du noyau formé par la France et la Grande-Bretagne en 1947 à Dunkerque, et la première tâche de l’Union occidentale (U. O.) est de mettre sur pied un état-major commun interallié. Cette union, uniquement militaire, est insuffisante, et, dans la lignée des travaux du congrès de La Haye, le Conseil de l’Europe, avec ses organes intergouvernementaux et son assemblée consultative, vient en compléter l’action le 5 mai 1949.