Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

étymologie (suite)

 W. von Wartburg, Französisches etymologisches Wörterbuch (Tübingen, puis Bâle-Paris, 1922-1970 ; 136 fasc. parus). / O. Bloch et W. von Wartburg, Dictionnaire étymologique de la langue française (P. U. F., 1949 ; 5e éd., 1968). / A. Dauzat, J. Dubois et H. Mitterand, Nouveau Dictionnaire étymologique (Larousse, 1964 ; nouv. éd., 1972). / P. Guiraud, l’Étymologie (P. U. F., coll. « Que sais-je ? », 1964 ; 3e éd., 1972) ; Structures étymologiques du lexique français (Larousse, 1967). / J. Picoche, Nouveau Dictionnaire étymologique du français (Hachette-Tchou, 1971).

eucharistie

À l’origine de l’eucharistie — que les catholiques appellent communément la messe, les protestants la Sainte Cène, les orthodoxes la liturgie eucharistique, et qu’un usage récent tend à appeler par référence à son origine la Cène du Seigneur — il y a un geste et des paroles de Jésus, rapportés par saint Paul et par les Évangiles synoptiques. Avant de mourir, Jésus célébra avec ses disciples la pâque juive en partageant avec eux un dernier repas et en leur annonçant qu’il célébrerait la pâque définitive « le jour où elle s’accomplirait en plénitude dans le royaume de Dieu » (Luc, xxii, 13). Il leur commanda ensuite d’accomplir ce geste « en mémorial de lui » (c’est-à-dire non pas simplement en mémoire de lui, mais en signe sans cesse renouvelé et toujours actuel de sa présence et de son action).


Saint Paul a précisé en quel sens, pour la foi chrétienne, la dernière Cène est contemporaine à tous les temps : « Chaque fois que vous mangez ce pain et que vous buvez cette coupe, vous annoncez la mort du Seigneur jusqu’à ce qu’il vienne. C’est pourquoi quiconque mangera le pain ou boira la coupe du Seigneur indignement aura à répondre du corps et du sang du Seigneur » (I Cor., xi, 26-27).


L’eucharistie est un mémorial

Même si la dernière Cène ne fut pas un seder (célébration de la pâque juive) proprement dit, le contexte pascal de ce repas paraît assuré, comme l’ont montré, d’une part, la découverte par R. Le Déaut d’un codex araméen contemporain des Évangiles sur la nuit pascale et, d’autre part, les recherches, fructueuses sinon définitives, de A. Jaubert sur la date de la Cène. Celle-ci a pu avoir lieu le mardi plutôt que le jeudi précédant la pâque (14 nisan), qui tombait cette année-là un jour de sabbat.

À cette donnée essentielle, il faut en ajouter d’autres. Le quatrième Évangile, qui ne donne aucun récit nouveau de l’institution, rapporte un long discours de Jésus annonçant ce sacrement (vi, 26-66). Jésus s’y est présenté comme « pain de vie » qui doit être reçu dans la foi. Puis il annonça que sa « chair » devra être mangée et son « sang » reçu en breuvage. Termes absurdes si on les prend littéralement et si on oublie le langage imagé de la Bible. Il faut se souvenir, en effet, que, pour les peuples sémitiques, la chair et le sang sont non seulement des attributs physiques, mais aussi les composantes de la personne et qu’ils expriment les liens sociaux et la communication interpersonnelle. Ces paroles de Jésus ne sont donc pas symboliques ; elles expriment une réalité et fondent la réflexion ultérieure de l’Église sur la présence réelle.

La « fraction du pain » dans l’épisode des disciples d’Emmaüs (Luc, xxiv, 13-35) est en général reconnue comme eucharistique, bien que cette interprétation ne soit nullement assurée, car ces disciples n’avaient pas participé à la dernière Cène. Les repas du Christ avec ses disciples après la Résurrection, qui manifestent sa qualité de ressuscité, n’ont pas non plus le caractère eucharistique, à moins de les interpréter comme une sorte d’inauguration de l’eucharistie de l’Église par Jésus lui-même.

Le terme de mémorial — en hébreu zikkaron — employé par Jésus n’est pas le plus courant dans le vocabulaire contemporain. C’est pourtant l’idée mère d’où est née toute la réflexion chrétienne sur les sacrements. En instituant l’eucharistie, Jésus n’a pas prescrit quelque chose de radicalement nouveau ; il s’est inscrit dans une tradition, celle du peuple juif. Dans le judéo-christianisme, tout geste rituel commémore un événement décisif de l’histoire du peuple élu pour en rappeler l’actualité et le revivre comme un moment nouveau de cette histoire. L’événement passé est vécu de nouveau, non réitéré, mais rendu effectif par le « rite », qui n’est pas une action mimée, mais une réalité vécue en même temps que la représentation commentée et célébrée de l’événement fondateur initial.

Même si la Cène ne fut pas un véritable repas pascal, Jésus fut désigné très tôt par les chrétiens comme « pâque nouvelle » ou « pâque annonciatrice de la Pâque éternelle » (cf. Luc, xxii, 16). L’eucharistie est ainsi rappel de la pâque, de l’Exode, de l’alliance, de l’œuvre du salut et, en ce sens, elle a recueilli, pour l’appliquer à la mort et à la résurrection de Jésus, toute la signification traditionnelle de la pâque juive : son sens de délivrance, d’alliance nouvelle et définitive, de salut accompli dans un peuple choisi au bénéfice de tous les hommes.


Action de grâces

Le terme d’eucharistie signifie « action de grâces ». Mais, dans la pensée biblique, celle-ci consiste moins à remercier Dieu ou à demander à Dieu qu’à le bénir et à le louer pour l’œuvre de la création et pour sa puissance de salut. Elle implique une adhésion, voire une participation, à l’action divine. L’eucharistie chrétienne doit être ainsi mise en parallèle avec la berakha juive.

C’est sur cette base, en effet, que s’est édifiée peu à peu la liturgie eucharistique, comme l’a montré excellemment L. Bouyer. Jésus a prononcé une formule traditionnelle de berakha : « Comme on peut dire de Jésus de Nazareth qu’il est la Parole faite chair, on pourrait dire de son humanité qu’elle est l’homme parvenu à prononcer la parfaite « bénédiction », celle où tout l’humain se livre en une réponse parfaite au Dieu qui parle » (L. Bouyer). Le peuple chrétien peut « bénir » depuis que la parfaite « bénédiction » formulée à la dernière Cène a été accomplie à la Croix.