Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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étrangers (condition des)

L’étranger n’a jamais été complètement assimilé au national : car à une antique méfiance envers l’inconnu s’ajoute l’idée que l’étranger n’est pas vraiment intégré dans la communauté juridique, sociale ou religieuse formée par les nationaux et ne peut donc jouir des mêmes droits.


La condition de l’étranger varie, à travers les âges et les pays, selon des données religieuses, politiques ou démographiques, qui le font tantôt accepter par la communauté nationale, tantôt rejeter. Dans l’Antiquité, l’étranger n’était même pas sujet de droit : il ne participait pas aux lois et ne pouvait se marier, acquérir des biens ou porter une action devant les tribunaux. Ce principe de la non-personnalité de l’étranger n’était tempéré, en fait, que par l’institution de l’hospitalité et, en droit, par des traités.

Durant le Moyen Âge, à la personnalité des lois (la loi applicable à une personne dépendait de son origine) succéda la territorialité des lois (sur chaque territoire une seule loi s’appliquait) ; l’unique moyen pour l’étranger de devenir sujet de droit était de se reconnaître l’homme du seigneur. Peu à peu, l’unité de la nature humaine, affirmée par le christianisme, et les nécessités du commerce international conduisirent la plupart des États modernes à reconnaître à l’étranger les droits privés indispensables. La condition de l’étranger en droit privé s’est donc beaucoup rapprochée de celle du national, mais elle reste très différente au regard du droit public. Enfin, l’existence de personnes morales étrangères pose des problèmes particuliers, du fait notamment de leur puissance économique à l’époque contemporaine.


Condition des étrangers en France au regard du droit public

La condition de l’étranger dépend avant tout de son droit d’entrée et d’établissement en France, la question de sa participation à la vie politique et aux services publics ne se posant qu’ultérieurement.


Admission et établissement

Bien que la tradition hospitalière de la France remonte à l’Ancien Régime, elle a été tempérée dès la fin du xixe s. en raison de l’augmentation constante de l’immigration. En effet, la réglementation de l’accès des étrangers est, pour chaque État, un choix politique engendrant souvent des répercussions sociales et économiques. Ce choix se complique encore du fait des politiques très différentes menées par chaque pays en ce domaine et des risques de réaction xénophobe des populations.

Depuis la Première Guerre mondiale, les étrangers, pour entrer en France, doivent être munis d’un passeport délivré par les autorités de leur pays d’origine et visé par le consul de France de leur résidence. Ces exigences sont fréquemment supprimées, surtout dans nos rapports avec les pays européens, par des accords internationaux. Seule une pièce d’identité reste alors nécessaire.

L’étranger qui désire demeurer en France plus de trois mois doit solliciter du préfet l’octroi d’une carte de séjour qui sera sa carte d’identité. Sa demande doit indiquer le but de son séjour en France et ses moyens d’existence s’il n’exerce aucune profession. S’il entend remplir un emploi salarié, il doit produire un contrat ou une autorisation de travail.

L’étranger qui désire exercer une activité professionnelle en France devra également obtenir une carte professionnelle, dont l’existence, de création récente, permet à l’Administration d’accorder ou de refuser, individuellement, un ensemble de droits aux étrangers. Ce sont les cartes d’exploitant agricole, les cartes de travail (profession salariée) et les cartes de commerçant (profession commerciale, industrielle ou artisanale — fonction de direction d’une société commerciale).

Les infractions à la réglementation des cartes professionnelles font l’objet de sanctions pénales et, sur le plan civil, peuvent entraîner la nullité* des contrats passés par l’étranger et relatifs à l’exercice de sa profession. Cependant, cette rigueur a été extrêmement tempérée par la jurisprudence en ce qui concerne les contrats de travail.

Les étrangers titulaires de diplômes d’enseignement supérieur bénéficient fréquemment d’équivalences en France, ces équivalences variant selon les matières d’enseignement, le pays ayant délivré le diplôme et les accords internationaux existant en ce domaine. Le baccalauréat est généralement reconnu dans l’ensemble des pays européens.

Des accords internationaux facilitent tant l’admission des étrangers en France que leur condition d’établissement (notamment par la suppression de l’exigence de la carte professionnelle). Mais ces traités sont très largement dépassés par les mécanismes mis en œuvre par le traité de Rome du 25 mars 1957, instituant la Communauté économique européenne et impliquant la reconnaissance de la liberté d’établissement et la libre circulation des travailleurs. Dans le cadre du traité de Rome, l’assimilation du travailleur étranger au national est pratiquement réalisée, sous réserve des emplois dans l’administration publique ; les cartes professionnelles ont été supprimées, et l’accès aux professions dont l’exercice est subordonné à la possession de certains diplômes a été peu à peu aménagé. Enfin, la liberté de séjour a été liée à la liberté d’établissement. Chaque État membre de la Communauté garantit au ressortissant des autres États membres s’installant sur son territoire, en vue d’y exercer une activité non soumise à restriction ou expressément autorisée, un droit de séjour permanent ou d’une durée égale à celle qui est accordée pour l’exercice de l’activité.

Cependant, une différence essentielle subsiste entre la condition de l’étranger, même favorisé par des accords internationaux, et la condition du national : c’est la précarité de la situation de l’étranger, qui peut, en principe, être expulsé du territoire. L’expulsion est prononcée par arrêté du ministre de l’Intérieur ou du préfet dans les départements frontières et, sauf traités particuliers, n’a pas à être motivée. L’arrêté doit être notifié à l’intéressé, qui peut demander à être entendu. L’Administration jouissant d’un pouvoir discrétionnaire, aucun recours contentieux n’est possible contre l’arrêté quant à son opportunité, et seule l’illégalité pourrait être soulevée.