Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

ethnomusicologie (suite)

L’enregistrement sonore et les techniques audio-visuelles

La naissance des premières techniques d’enregistrement sonore en 1877 constitua l’étape décisive vers ce qui permettrait d’enregistrer et de reproduire avec une fidélité presque parfaite toute manifestation musicale. Mais il fallut plus d’un demi-siècle avant que ces techniques fussent suffisamment au point pour servir d’une manière appréciable l’étude des musiques de tradition orale. Avant l’avènement du magnétophone portatif, le matériel d’enregistrement était lourd, coûteux, fragile, de manipulation délicate et d’une fidélité très relative : pendant cette période, les enregistrements de musique de tradition orale furent peu nombreux, médiocres et très difficilement accessibles. Vers le début de la seconde moitié du xxe s., les enregistrements de musique traditionnelle dans le monde se sont considérablement développés. Outre les campagnes d’enregistrement musical menées systématiquement par certains organismes scientifiques (musées, organismes de radiodiffusion et de télévision), nombre de voyageurs de toutes sortes ont enregistré çà et là des musiques de tradition orale. De même (bien qu’en beaucoup plus faible quantité), des films cinématographiques ont été tournés sur les musiques de tradition orale. La qualité technique et la valeur ethnographique de ces documents sont assez irrégulières. Outre que la quantité d’enregistrements reste très faible au regard du nombre de musiques de tradition orale encore vivantes, leur dispersion dans des collections privées ou dans des phonothèques spécialisées, généralement difficiles d’accès, rend leur exploitation scientifique et, à plus forte raison, leur diffusion auprès du public très restreintes. La production phonographique qui permet cette diffusion internationale, grâce notamment à quelques collections spécialisées (OCORA et musée de l’Homme en France ; Unesco et Folkways aux États-Unis), demeure cependant, en ce domaine, encore trop limitée.


Les instruments de musique, les écrits et l’iconographie

Les plus anciens témoignages qui nous soient parvenus sur l’activité musicale des hommes sont des instruments de musique (rhombe préhistorique) ou des représentations de scènes musicales (arc musical préhistorique) de l’art rupestre. Les fouilles archéologiques ont mis au jour de nombreux instruments de musique en usage pendant l’Antiquité. Les musées et les collections privées détiennent une quantité considérable d’instruments recueillis dans différentes régions du monde. Bien qu’inanimés, puisqu’ils ne sont plus entre les mains de ceux qui savaient les faire vivre traditionnellement, ces instruments de musique apportent de précieuses indications sur l’histoire de la musique, l’évolution des techniques et parfois même sur la musique elle-même (par exemple sur les échelles musicales pour les instruments à hauteur sonore fixe). D’importants écrits nous sont parvenus sur la théorie des musiques savantes de la Grèce antique, de l’Inde, de la Chine, de l’islām. Ils nous renseignent très précisément sur la conception théorique de la musique dans plusieurs civilisations, mais ne nous permettent pas d’imaginer sérieusement quelles formes prenait véritablement la musique en action.

La théorie musicale a souvent été un art en soi, mêlé à la science, à la philosophie et à la religion, détaché des réalités de la musique vivante. Les descriptions de scènes musicales abondent dans la littérature, mais, là encore, elles ne donnent, tout comme les représentations iconographiques, que peu de renseignements sur la musique elle-même.


Problèmes épistémologiques

Un des enseignements fondamentaux de l’ethnomusicologie est que toute musique, quel que soit son degré véritable ou apparent d’élaboration, est organisée comme une langue, en un système particulier, précis et cohérent. Certaines civilisations musicales (en Asie par exemple) formulent chacune une théorie qui lui est propre, mais qui, souvent, n’expose qu’incomplètement, artificiellement, voire faussement les règles véritables d’organisation du langage musical auquel elle prétend se rapporter. Les théories musicales ont presque toujours été, jusqu’à présent, des systèmes indépendants, se développant pour eux-mêmes à partir de certaines données scientifiques, religieuses, philosophiques et poétiques, en dehors des réalités profondes de la musique vivante. D’autres civilisations (la grande majorité) n’ont jamais formulé de véritable théorie s’appliquant à la musique.

À partir de cette conviction que toute musique savante ou populaire, associée ou pas à un système théorique formulé, représente un ensemble cohérent ordonné par des règles précises, l’ethnomusicologue se propose de comprendre et d’exposer les principes d’organisation et de fonctionnement de la musique qu’il étudie. Il voudrait être le vrai théoricien des musiques sans théorie (et de celles dont la théorie existe déjà en tant que système indépendant).


La musique en situation

Avant que d’analyser et de saisir l’organisation d’une langue, on cherche en général à pouvoir comprendre celle-ci et la parler. Pour y arriver, il suffit de vivre un certain temps auprès des gens qui la parlent déjà : c’est ainsi que les enfants apprennent leur langue maternelle avant d’étudier éventuellement la grammaire et la syntaxe. De même, pour être en mesure de « comprendre » une musique, il faut la côtoyer pendant un certain temps, être habitué à l’entendre, y participer d’une façon ou d’une autre. Contrairement à la langue, qui signifie et permet d’exprimer des idées, des sentiments, de poser des questions, de communiquer des informations qui sont reçues avec précision, la musique est foncièrement secrète, sensuelle et irrationnelle dans ses effets (en dehors des cas particuliers où elle est utilisée pour signifier : appels de chasse, sonneries militaires, langage tambouriné). Dans une même société, une même unité culturelle, chacun perçoit la musique à sa manière. La participation à une même manifestation musicale peut revêtir diverses formes : certains chantent, d’autres jouent d’un instrument, dansent ou écoutent.