Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

Éthiopie (suite)

L’histoire


Les origines

La présence de l’homme est attestée dans cette région dès l’aube de l’humanité : c’est dans la vallée de l’Omo qu’ont été exhumés en 1967-68 les restes du plus ancien Hominidé connu (Paraustralopithecus œthiopicus), qui remonterait à 1 500 000 ans.

Faisant suite à une préhistoire assez riche, l’existence d’une authentique civilisation éthiopienne nous est révélée vers 1500 av. J.-C. grâce aux inscriptions hiéroglyphiques de Thèbes.

Les monuments les plus anciens (vers le vie s. av. J.-C.) montrent l’existence d’une brillante civilisation, fortement apparentée à celle des Minéens et des Sabéens, qui prospérait alors en Arabie du Sud. Cette période devait donner naissance aux traditions relatives à la reine de Saba dont se réclame la dynastie salomonide.


L’empire d’Aksoum. Les Zagoué

On ne sait pas au juste à quel moment apparaissent la civilisation et le royaume d’Aksoum*, dont l’existence paraît s’étendre du ier au ixe s. de notre ère. C’est au cours de cette période, vers le milieu du ive s., que le roi Ezana, converti au christianisme, fait de cette nouvelle religion le culte officiel du royaume. À partir du vie s., la puissance aksoumite décline. L’expansion de l’islām coupe d’un coup les relations du royaume avec Byzance et le monde méditerranéen. Au début, les rapports entre l’islām naissant et l’Éthiopie sont excellents. En 615, des compagnons de Mahomet, fuyant la persécution qurayehite, se réfugient à la cour d’Aksoum, où ils sont bien accueillis. Mais ces contacts ne vont pas tarder à se gâter devant les exactions et les pillages auxquels se livrent les pirates qui opèrent depuis les ports aksoumites. Les musulmans réagissent en occupant le littoral (Massaoua, les îles Dahlak) ; le port d’Adoulis (auj. Zoul) est pris et incendié.

Après une brève reconquête au cours du xe s., le royaume perd définitivement son accès à la mer et se replie sur lui-même. C’est à ce moment que se révoltent les populations agaous, qui vivent à l’ouest et au sud du royaume. Leur reine, Judith, s’empare de la capitale, qui est incendiée. Dans des circonstances encore mal connues apparaît vers la fin du xie s. ou dans le milieu du xiie une dynastie Zagoué qui prétend descendre de Moïse.

Princes de la région du Lasta, ces Zagoué profitent de l’éclipse de la dynastie aksoumite pour transférer le siège de l’empire dans leur région. Outre quelques succès guerriers contre les populations rebelles du Sud, ils se distinguent surtout sur le plan religieux. L’un d’entre eux, Lalibala, crée une admirable cité sainte (fin du xiie s. - début du xiiie) qui prendra son nom. Là, une douzaine d’églises rupestres monolithiques, taillées en plein roc, représentent la dernière et peut-être la plus belle expression de l’art des tailleurs de pierre d’Aksoum. Le plus grand mérite des usurpateurs Zagoué fut certainement de conserver intacte la culture chrétienne de l’Éthiopie. Cela peut expliquer le fait que le roi Lalibala, bien que n’appartenant pas à la dynastie légitime, soit vénéré comme un saint par les Éthiopiens.


La restauration salomonienne

Vers la fin du xiiie s., un des successeurs de Lalibala est tué par les partisans de l’ancienne lignée aksoumite, dont l’un des descendants, Yekouno Amlak (1270-1285), monte sur le trône. Le nouveau souverain transfère alors le siège de l’empire au Choa. C’est le début d’un brillant renouveau. Durant plus de deux siècles et demi, les Éthiopiens vont pouvoir développer leur prospérité, enrichir leur culture et vivre dans une relative tranquillité. La civilisation, centrée sur la religion, prend sa forme originale. La littérature brille d’un éclat particulier. C’est de cette époque que datent la plupart des traditions et légendes, et notamment le Kébra Negast (« la Gloire des rois »), qui définit la chronologie des rois qui se sont succédé depuis Ménélik Ier, fils de Salomon et de Makeda, reine de Saba. Partout, le pays se couvre d’églises et de monastères, qui sont les principaux foyers de la culture.

Cependant, dès le xive s., le royaume doit faire face à de continuelles révoltes de ses provinces du Sud-Est, où la religion chrétienne est en régression devant l’islām. Ces révoltes, provoquées par des causes économiques, ne prendront que plus tardivement un aspect religieux. C’est ainsi qu’Amda Tsion (1314-1344), après avoir favorisé l’expansion du christianisme dans des régions encore païennes, doit repousser successivement quatre coalitions de musulmans rebelles. Ses campagnes ont été rapportées dans un poème épique, l’un des plus beaux monuments de la littérature éthiopienne. Sa renommée devait toucher non seulement les musulmans, mais aussi l’Occident : un passage du Roland furieux de l’Arioste y fait allusion. Les campagnes de David Ier (1382-1411), de Yeshak (1414-1429), puis de Zara Yaqob devaient abattre la puissance du sultan d’Ifat. Ces deux derniers engagent des relations avec le roi d’Aragon et le duc Jean de Berry. Des prêtres éthiopiens assistent au concile de Florence (1439-1442). Sous Eskender (1478-1494) et Naod (1494-1508), les contacts avec l’Occident se précisent : le Portugais Pêro da Covilhã († v. 1545) parvient en Éthiopie et sera suivi en 1520 par une ambassade que Lebna Denguel (1508-1540) accueille favorablement.


L’Éthiopie et les Portugais face à l’islām

La découverte de l’Éthiopie par les Portugais fera grand bruit en Europe. Mais, au moment où les Occidentaux, après l’avoir vainement recherché en Asie, croyaient enfin pouvoir identifier le pays du légendaire « Prêtre Jean » avec l’Éthiopie, celle-ci manque d’être submergée par une formidable poussée musulmane.

Lebna Denguel, abusé par quelques succès locaux, sous-estime d’abord la menace et ne croit pas nécessaire une alliance avec les Portugais. À peine ceux-ci sont-ils rembarqués que l’imām Aḥmad ibn Ibrāhīm al-Khāzī, surnommé Ahmed Gragne (le Gaucher), lance depuis le Harar une violente attaque avec l’aide conjointe des Afars et des tribus somalies du Sud-Est, appauvries par l’effondrement du commerce de la mer Rouge, que les Portugais venaient de ruiner en y anéantissant les flottes égypto-indiennes. Les envahisseurs reçurent l’appui des Turcs, qui cherchaient alors à étendre leur influence le long des côtes de l’Arabie. La lutte devait durer de 1527 à 1543 ; les hordes de Gragne dévastèrent le pays jusqu’au Tigré, pillant et dévastant villes et sanctuaires, et forçant une grande partie des habitants à abjurer la foi chrétienne pour l’islām. Le pays aurait peut-être succombé sans l’appui des Portugais, qui réussissent à débarquer à Massaoua une petite troupe sous le commandement de Dom Cristóvão da Gama (le fils de Vasco de Gama). Après des succès initiaux, les Portugais sont décimés par les musulmans, aidés par les Turcs, et Gama, fait prisonnier, est massacré (1542). Mais les survivants se regroupent autour de l’empereur Claude (Galaoudéos 1540-1559), et l’imām Gragne est tué à son tour au cours de la bataille d’Ouaïna Dega, près du lac Tana, en 1543. Privés de leur chef, ses soldats se débandent et se retirent dans l’Adel.