Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

États-Unis (suite)

L’évolution de la vie politique

Très vite, le débat passe sur le plan politique. Dans l’histoire politique de cette période, trois phases se distinguent successivement.

• L’Amérique jeffersonienne. La convention de Philadelphie a créé un gouvernement national et mis sur pied une fonction nouvelle, la présidence. Au cours des deux mandats de Washington, des précédents s’établissent, en raison du prestige du président et à la suite du conflit entre Hamilton et Jefferson.

Alexander Hamilton (1757-1804) est secrétaire au Trésor. Dans plusieurs rapports adressés au président en 1790-91, il indique sa volonté d’établir des fondements solides pour les finances publiques et de soutenir le crédit public. Pour cela, il propose la création d’une Banque nationale qui aiderait le gouvernement à régler les questions financières ; il réclame, en outre, rétablissement de droits de douane qui assureront des revenus fixes à l’Union et protégeront les industries nationales. Ainsi, il manifeste sa sympathie pour les industriels, les commerçants et l’aristocratie foncière du Nord. Lorsqu’on lui objecte qu’il recommande l’adoption de mesures qui nécessitent une interprétation large de la Constitution, il répond qu’il faut dégager l’esprit du texte et que le modèle à suivre est celui de la Grande-Bretagne.

Jefferson* est secrétaire d’État. Physiocrate, il a joué depuis 1774 un grand rôle politique. C’est aussi un savant, un architecte, un philosophe. Consulté sur le programme d’Hamilton, il s’insurge contre l’extension des pouvoirs fédéraux ; il défend les droits des États — les États sont, à ses yeux, plus proches du peuple. Son modèle, il le cherche dans la révolution américaine, puis dans la première phase de la Révolution française. Il souligne combien l’agriculture est admirable et les villes détestables : les fermiers, dit-il, sont le peuple élu de Dieu ; si les États-Unis veulent être « le meilleur espoir du monde », ils se doivent de résister aux tentations de l’industrialisation.

Arbitre de la situation, Washington penche vers Hamilton. Il fait créer pour vingt ans la Banque des États-Unis ; quand la guerre éclate en Europe, il proclame la neutralité de son pays, malgré le traité d’alliance (signé en 1778) qui le lie à la France. Jefferson démissionne, rencontre beaucoup d’amis dans le Sud parmi les planteurs, sur la Frontière parmi les petits fermiers, dans le Nord-Est chez les artisans des villes. Ainsi se constitue le parti républicain, que ses adversaires baptisent avec mépris démocrate. Les partisans d’Hamilton s’appellent les fédéralistes. Entre les deux « factions », le conflit est violent : la presse s’en mêle, et les élections présidentielles de 1796 — après la retraite de Washington — portent au pouvoir un fédéraliste, John Adams (1735-1826), mais, par une singularité du système électoral, le vice-président est Jefferson lui-même. En 1800, celui-ci triomphe. Dès lors, le parti fédéraliste décline, d’autant plus que Jefferson et ses successeurs républicains-démocrates réalisent en grande partie le programme de leurs adversaires. À partir de 1816, la querelle entre les deux partis appartient au passé : pendant dix ans, les États-Unis connaissent « la période des bons sentiments ».

• La démocratie jacksonienne. L’apparition du général Andrew Jackson (1767-1845) sur le devant de la scène ranime la vie politique. Il se présente aux Américains comme un héros national et comme un homme de l’Ouest. Pourtant, grand planteur de coton du Tennessee, il n’est pas révolutionnaire : il appartient à cette nouvelle classe d’hommes d’affaires qui réclament leur liberté d’action, de l’argent à bon marché, en un mot la libre entreprise, et qui, en conséquence, détestent la Banque (la deuxième charte, accordée en 1816, sera supprimée en 1836). Par ailleurs, la vie politique s’est démocratisée ; le suffrage universel a été adopté progressivement par les États. Le lieutenant de Jackson, Martin Van Buren (1782-1862), réorganise le parti démocrate et en fait un parti structuré, dont l’activité se fonde sur le « système des dépouilles », qui donne aux vainqueurs des élections les places importantes ; tous les quatre ans, une convention du parti désigne le candidat à la présidence. À tous les niveaux, les fonctions électives se multiplient.

• La montée des périls, 1840-1860. À partir de 1840, le problème de l’esclavage domine la vie politique. Les partis politiques éclatent. Les démocrates passent sous l’influence des « slavocrates ». Leurs adversaires se divisent. Les whigs, puissants entre 1840 et 1850, disparaissent : les « whigs du coton » rejoignent les rangs démocrates ; les « whigs de la conscience » forment le parti du Sol libre, puis, en 1854, un mouvement spontané rassemble les adversaires de l’esclavage dans un nouveau parti républicain, qui ne recrute que dans le Nord et l’Ouest.

Contre cette évolution des partis, les hommes politiques ne peuvent rien. Les présidents sont médiocres. Les législateurs cherchent des compromis. En 1820, le compromis du Missouri stipulait que, dans l’ancienne Louisiane française, l’esclavage serait interdit au nord de la latitude 36° 30°, à l’exception du Missouri, qui entrait dans l’Union comme État esclavagiste. Le compromis de 1850 donne à la Californie le statut d’État libre, supprime le marché aux esclaves dans le district de Columbia et laisse aux territoires acquis sur le Mexique la liberté de choisir ou non l’esclavage. Quand un compromis est établi pour le territoire du Kansas-Nebraska, le feu est mis aux poudres : en 1854, une première guerre civile commence. Tout concourt, d’ailleurs, à enflammer les esprits : la Cour suprême rend en 1857 un verdict qui déclare anticonstitutionnel le compromis du Missouri. En 1859, un illuminé, John Brown (1800-1859), s’élance vers le Sud pour délivrer les esclaves.

Le parti républicain accomplit de tels progrès qu’en 1860 il remporte les élections présidentielles en n’obtenant de voix que dans le Nord et l’Ouest. Peu curieux de connaître les véritables intentions de Lincoln*, le Sud se croit dangereusement menacé. Onze États (Virginie, les Carolines, Géorgie, Floride, Alabama, Mississippi, Louisiane, Texas, Tennessee et Arkansas) font sécession et décident de créer une confédération. La guerre civile éclate en avril 1861. Elle durera quatre ans. (V. sécession [guerre de])