Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

espace plastique (suite)

La double articulation de ces modèles, où le fond linguistique fait tenir le code proprement spatial, s’observe de façon exemplaire dans l’œuvre d’Uccello. Dans le Déluge universel, la perspective joue sur la destruction (symbolique, matérielle, optique) des figures ou du principe, non posé thématiquement, qui régit l’organicité des figures. Il semble que, chez Uccello (notamment dans la Profanation de l’hostie), il y ait une disruption symbolique effectuée entre la métonymisation figurative qui ne peut affecter que la forme d’un récit et le principe de condensation historique dans la perspective, par un travail de décollement des unités figuratives.

Le pouvoir d’absorption de codes multiples par la perspective tient à la fois à la primauté du modèle (à sa configuration mathématique) et au fait qu’elle présente une solution d’autonomisation de la figure ; ce qui disparaît, semble-t-il, dans le jeu entièrement filigrané dans le tableau d’un appareil de fiction (les lignes perspectives), c’est le statut immédiatement symbolique de la figure (Byzance). L’espace ainsi manifestement construit sur un problème d’optique fonctionne comme espace d’un jeu sémantique : c’est celui d’une naturalisation de la figure. Aussi, ce sont, paradoxalement, les implications épistémologiques et idéologiques qui vont penser tous les problèmes de spatialité pendant des siècles.

Cette évolution se présente aussi dans l’histoire de l’écriture*, à la fois comme un domaine limitrophe et comme un domaine d’origine. Toute l’iconologie a pensé la figure comme l’aboutissement d’une spécification progressive des écritures figuratives. On a ainsi pu penser que le problème de l’espace s’est posé dans l’évolution de l’écriture, au moment de sa forme pictographique, hiéroglyphique, dans le choix qui s’est opéré entre les écritures alphabétiques-phonétiques et non alphabétiques. Le problème ne s’y présente pas cependant comme la construction d’un espace spécifique, mais disparaît (empiriquement) dans l’articulation d’unités signifiantes. C’est sans doute dans l’histoire de l’écriture un facteur mathématique qui emporte le mouvement de spécification des signes graphiques.

Il semble donc que, si la notion d’espace semble le critère de détermination d’ensembles plastiques non scripturaux, elle doive s’accompagner théoriquement d’un statut propre de la figure : parce que cette figure organise l’espace — et que l’espace a été longtemps considéré comme une figure ; parce que cette organisation n’est pas de type purement plastique. C’est peut-être et, systématiquement, avant tout une organisation procédant des caractères sémantiques de la figure qui joue globalement sur une figuration non discursive et non logique a priori du réfèrent (à ne pas confondre avec une absence de relations logiques déterminantes).

On peut dire plus exactement que l’espace plastique est caractérisé par la mise en scène d’éléments non isologiques (figures, couleurs) d’une figuration ou d’une fiction de leur référent. Autant que l’espace, la dérivation du référent semble constituer le motif spécifique de la peinture et se suivre dans son histoire. Plus précisément, ces deux points, sans relation au niveau d’une formalisation des caractères picturaux sur les « performances » (dans une typologie des « discours » picturaux en narratifs, compositionnels, etc.), présentent une profonde intrication dans toute l’histoire de la peinture. Il semble même que ce qui peut caractériser la peinture soit l’articulation d’un type d’organisation sémiologique (la figure) et d’un type d’organisation plastique (géométrique), que les caractéristiques des deux types élémentaires soient perfus et que l’espace apparaisse autant comme espace plastique que comme espace sémantique.

C’est en effet que, dans ces systèmes de non-coordination linéaire ou d’organisation non logique, la pratique des éléments de caractérisation (figure, couleur, espace) induit la configuration sémiologique de tout le système. Contrairement à ce qu’a soutenu la pensée classique dans ses tentatives de rationalisation des pratiques esthétiques, il n’y a pas de langue de la peinture : les systèmes plastiques apparaissent comme non élémentaires, définis par des types de perfusion prétypologique.

J. L. S.

➙ Art / Iconographie / Sémiotique.

 E. Panofsky, Die Perspective als symbolische Form (Hambourg, 1927) ; Studies in Iconology (New York, 1939 ; trad. fr. Essais d’iconologie, Gallimard, 1967) ; Meanings in the Visual Arts (New York, 1955 ; trad. fr. l’Œuvre d’art et ses significations, Gallimard, 1969). / P. Francastel, Peinture et société (Audin, Lyon, 1952 ; nouv. éd., Gallimard, 1965) ; la Réalité figurative (Gonthier, 1965). / J. L. Schefer, Scénographie d’un tableau (Éd. du Seuil, 1969). / R. Klein, la Forme et l’intelligible (Gallimard, 1970). / H. Damisch, Théorie du nuage (Éd. du Seuil, 1972). / M. Pleynet, les Enseignements de la peinture (Éd. du Seuil, 1972).

Espagne

En esp. España, État de l’Europe méridionale.
L’Espagne, qui occupe les quatre cinquièmes de la péninsule Ibérique, est située à l’extrémité sud-ouest de l’Europe, dans une position quelque peu isolée mais remarquable. Baignée sur près de 1 500 km par la Méditerranée, elle a été mêlée aux destinées de ce grand foyer d’activité de l’Europe méridionale ; touchant presque à l’Afrique au détroit de Gibraltar, elle a subi pendant plusieurs siècles la domination musulmane ; promontoire projeté dans l’Atlantique face à l’Amérique, elle s’est lancée la première dans l’aventure américaine. L’Espagne est donc un carrefour où se sont superposées des influences diverses qui lui ont forgé une forte personnalité.
Cependant, après un « siècle d’or » particulièrement brillant, l’Espagne s’est repliée sur elle-même et a vécu à l’écart de l’Europe, ce qui lui a valu de n’être que faiblement touchée par la révolution industrielle. Aussi faisait-elle figure de pays sous-développé jusqu’à une date récente. Et, malgré un spectaculaire redressement économique depuis 1960, elle reste encore profondément marquée par des archaïsmes qui, avec l’âpreté du milieu naturel, constituent de graves obstacles au développement.