Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

espace (perception de l’) (suite)

L’espace auditif

Dans ce domaine, les chercheurs ont étudié la précision avec laquelle une source sonore pouvait être localisée en fonction de son intensité, de sa fréquence et de sa situation par rapport au sujet. Des expériences de stimulation dichotique, ou stimulation indépendante des deux oreilles, ont montré comment la comparaison, au niveau du cortex, de la sensation reçue par chaque oreille est la principale information utilisée pour déterminer l’origine d’un son. En effet, lorsque la source sonore ne se situe pas dans le plan médian du sujet, l’onde sonore n’arrive pas au même moment et avec la même intensité à l’oreille droite et à l’oreille gauche. Or, nous sommes très sensibles à ces différences de phase et d’intensité et, chaque fois que cela est possible, nous tournons la tête dans la direction de la source sonore afin d’égaliser les deux sensations.


L’espace proprioceptif et kinesthésique

Les psychologues cliniciens ont surtout étudié le schéma corporel, que l’on peut définir comme la représentation inconsciente que nous avons de notre propre corps en dehors de toute stimulation sensorielle. L’enfant normal met six ans à construire cette structure tandis qu’un débile profond ne l’achève jamais. Même lorsqu’il a été acquis, le schéma corporel reste fragile ; il est perturbé dans la plupart des psychoses.

Des récepteurs situés dans les muscles et les tendons nous informent de façon quasi permanente du degré de tension et d’élongation de nos muscles, tandis qu’au niveau des articulations d’autres récepteurs nous permettent d’apprécier l’angle des différents axes osseux entre eux.

Dans l’oreille interne se trouvent des récepteurs vestibulaires sensibles à la pesanteur et aux accélérations. Ils sont constitués par trois canaux semi-circulaires situés respectivement dans les plans frontal, horizontal et sagittal. Chaque canal comporte à ses extrémités une ampoule qui renferme des cellules réceptrices sensibles à l’accélération angulaire provoquée par la rotation de la tête selon chacun des trois axes. Ces recherches ont reçu, avec le développement de l’astronautique et le passage de la pesanteur à l’apesanteur, et vice versa, un champ d’application nouveau. Pour importantes que soient ces informations, elles n’ont pas la précision du système visuel.


L’espace visuel

L’étude de la perception visuelle peut servir de modèle pour montrer comment nous utilisons des informations primaires (innées) et des informations secondaires (acquises) se complétant pour obtenir une image relativement cohérente du monde extérieur.


Dans les conditions normales de vision

Dès la naissance, certains processus physiologiques essentiels sont en place, comme la disparation rétinienne (phénomène qui indique que nous n’obtenons pas sur nos deux rétines deux images identiques du même objet). On a pu la mettre en évidence en présentant à chaque œil un paysage dessiné sous deux angles légèrement différents : le sujet ne perçoit alors qu’une seule image, mais en relief ; si les deux images présentées sont identiques, l’effet de relief disparaît.

La distance à laquelle nous nous trouvons d’un objet est appréciée par le biais de l’angle formé par les deux axes oculaires, celui-ci étant plus ou moins aigu selon la proximité de l’objet ; c’est ce qu’on appelle la convergence binoculaire.


La vision monoculaire

Dans ces conditions, nous percevons pourtant le relief, grâce à l’intervention de facteurs tels que la parallaxe des mouvements de la tête : de légers mouvements de la tête nous fournissent plusieurs images d’un même objet, et leur succession permet un effet de relief. Il faut citer aussi l’aberration chromatique, étudiée par A. Polack dès 1923. Selon cet auteur, certains points proches de la fovéa déterminent un halo rouge ou bleu-vert, selon que l’objet se situe plus ou moins loin du point de fixation du regard du sujet.

Pour estimer la distance à laquelle nous nous trouvons d’un objet, nous nous servons aussi de ce que nous avons appris pendant notre enfance : notamment de la perspective, de la répartition des ombres et des lumières. La vitesse avec laquelle deux mobiles se déplacent dans le champ visuel constitue une nouvelle source d’information, car nous savons que, si deux objets se déplacent objectivement avec la même vitesse, celui qui est le plus éloigné de nous paraît se déplacer le plus lentement. La grandeur d’un objet est estimée à l’aide de deux types de renseignements : la taille de l’image de l’objet sur notre rétine et l’évaluation de la distance qui nous sépare de cet objet. A. H. Holway et E. G. Boring (1941) ont montré expérimentalement que six facteurs étaient à l’origine de l’estimation de cette distance : trois facteurs primaires — la convergence, la disparation rétinienne et la parallaxe des mouvements de la tête —, et trois facteurs secondaires — la perspective, les effets d’ombre et les effets d’interposition.


Le développement de la perception de l’espace

Dans la Construction du réel chez l’enfant, Jean Piaget nous montre que les données essentielles de la perception de l’espace sont acquises pendant les dix-huit premiers mois (stade de l’intelligence sensori-motrice) et passent par trois étapes fondamentales. Durant les premiers jours de sa vie, l’enfant ne s’intéresse qu’aux objets qui se situent entre 30 et 40 cm de son visage ; en fait, tout ce qui peut être sucé l’attire. C’est la période des « espaces partiels », c’est-à-dire de la juxtaposition de plusieurs espaces hétérogènes limités chacun à un système sensoriel particulier. Dès le quatrième mois, la coordination entre la préhension et la vision est établie : l’enfant est capable, maintenant, de prendre volontairement et sans erreur un objet qui se trouve à portée de sa main ; de même il tourne la tête vers la source sonore lorsqu’il entend un son. Il y a mise en relation des espaces partiels. Mais l’objet n’a aucune permanence : il n’existe que si il est vu, et l’enfant ne va pas le rechercher si on le cache derrière un écran. Chaque objet possède une spécificité stricte : un même objet présenté à l’envers n’est pas reconnu.