Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

esclavage (suite)

L’histoire

Le droit babylonien connaît déjà une condition juridique bien fixée : transactions, absence de droits de l’esclave, possibilité d’affranchissement. L’esclave est protégé par la loi contre les abus, et certains ont pu posséder un commerce, s’unir avec des personnes libres et avoir eux-mêmes des esclaves, toutes choses rarissimes dans le monde gréco-romain.

Les Hébreux eurent aussi des esclaves. Les Égyptiens, au contraire, semblent n’en avoir possédé qu’exceptionnellement, de même que les Indiens. Chez les uns et les autres, la servitude est d’importation et intéresse surtout les souverains ou les temples (esclaves des temples égyptiens, esclaves guerrières des rois Maurya). Dans l’Inde, on a reconnu à l’esclave le droit à l’évasion.

Dans la Grèce mycénienne, les palais sont peuplés de ces hommes, capturés par les guerriers ou les pirates. Homère se contente de les appeler serviteurs, sans allusion à l’esclavage. Mais on imagine mal qu’il ait pu exister une grande marge entre les conditions du serviteur libre et de l’esclave authentique.

Dans la Grèce classique, la xénophobie à l’égard du « Barbare » renforce le cadre de la servitude, en identifiant davantage esclave et étranger : le métèque qui cesse de payer la redevance spécifique tombe en esclavage. La Grèce invente la prison d’esclaves, l’ergastule, et les grands marchés : Délos, petite île d’où l’on s’évade difficilement, Chios, Byzance, Chypre. Certains esclaves ont une condition effroyable, tels les mineurs de Laurion, qui se sont d’ailleurs révoltés. D’autres sont moins à plaindre : esclaves publics chargés de la police et assimilables à des fonctionnaires, esclaves domestiques partageant la vie d’un maître peu fortuné. Mais l’opinion des philosophes ne nous incite pas à imaginer la fraternisation : pour Aristote, il ne peut pas y avoir plus d’amitié entre maître et esclave qu’il n’en existe entre un ouvrier et son outil. Platon, qui a été un moment réduit lui-même en servitude, ne parle guère mieux. Xénophon conseille de veiller à ce que les esclaves ne se reproduisent pas sans permission. Mais les siècles passent, et le sort s’améliore : à l’époque hellénistique, l’esclave peut s’affranchir lui-même, par vente fictive à un dieu. Il existe des clubs d’esclaves ; les esclaves prennent part aux festivités domestiques, à l’égal de la famille du maître.

Toutefois, la conquête romaine et, avant elle, la dispersion des trafiquants italiens provoquent une recrudescence de l’institution. Rome rafle les hommes comme les œuvres d’art. Au iie s. av. J.-C., le marché servile de Délos est en pleine activité. De tous les pays conquis, et de bien au-delà, les troupes d’esclaves convergent vers l’Italie. C’est le moment des grandes révoltes serviles, dont la plus connue est celle de Spartacus (73 av. J.-C.) et qui naquirent dans les domaines latifondiaires ou les mines. Les maîtres tremblèrent, mais quoi qu’en disent certains historiens, il n’y eut ni révolte endémique, ni rébellion permanente, et l’on ne doit pas davantage voir l’action occulte du monde servile dans la chute de l’Empire romain.

Le droit romain, pourtant, n’avait rien de protecteur. Élaboré à la haute époque, il mettait le meurtre de l’esclave sur le même plan que la destruction d’un objet, son mariage sur celui de l’accouplement des bestiaux. Et cette condition peu enviable ne différait guère de celle de l’enfant libre vis-à-vis du paterfamilias autoritaire et patriarcal. Quelques données se font l’écho de cette misère : la fréquence de la prostitution, du suicide, de la fuite, la mortalité plus forte que celle des hommes libres. L’usage tempère cependant la rigueur du code : Ulpien considère les esclaves comme n’existant pas en droit civil, tandis que tous les hommes sont égaux en droit naturel. Tout se passe comme si l’esclavage était conservé en vertu de lois draconiennes, mais respectées.

Sous l’Empire, la législation évolue dans le sens souhaité par l’opinion. Le maître n’a plus droit de vie et de mort, et la prison d’esclaves est supprimée. On rencontre, en effet, de plus en plus d’esclaves que rien ne distingue de leurs maîtres (selon Appien, on ne les reconnaissait pas dans la rue). Si ceux de la campagne (familia rustica) demeurent misérables, ceux de la ville sont domestiques de grandes maisons ou travailleurs intellectuels (documentalistes, archivistes, comptables). Leur promotion peut aller très loin et aboutit généralement à l’affranchissement, dont l’extension finit par menacer l’institution même, car l’arrêt des conquêtes avait, de son côté, à peu près tari le recrutement. Si généreux qu’ils aient été pour les affranchissements individuels, les Anciens n’ont formulé aucun grief contre l’institution. Les stoïciens, dont certains se sont montrés assez obtus en la matière, ont admis les esclaves parmi eux, comme des égaux, comme des amis. Mais la servitude leur paraît une chose utile, à condition de ne pas abuser. Chrysippe et Cicéron définissent l’esclave à peu près comme on le ferait du salarié d’aujourd’hui.

Le christianisme réhabilite l’esclave en tant qu’homme et, conseillant seulement de multiplier les affranchissements, respecte l’institution même, comme les stoïciens. Parallèlement, il réhabilite le travail manuel, pour lequel les philosophes n’ont jamais eu de considération.

Quoi qu’il en soit, l’esclavage a été le moteur essentiel de la production pendant plusieurs siècles de l’histoire romaine. Il n’est pas impossible qu’il ait contribué à empêcher le progrès technique. Mais tout le travail n’est pas servile : le travail libre et rémunéré est demeuré compétitif. À la fin de l’Empire, il a pris le dessus, ce qui ne veut pas dire que l’esclavage disparaît totalement : il n’y a pas à cet égard de rupture entre le Moyen Âge et l’Antiquité. La barbarie imprègne même la condition servile, en annihilant les progrès acquis : dans la Gaule mérovingienne, le scalp et la castration sont les châtiments des esclaves malfaiteurs.