Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

érotisme (suite)

La condition de cette alchimie est psychologique : c’est la maîtrise de ses émotions, la domination de soi-même, dont font preuve tous les grands libertins de Sade. Comme il prétend au bonheur par la levée de tous les tabous et de tous les interdits, ce « détour » conduit tout droit à l’érotisme. Mais, comme la Nature est posée comme principe ultime par le libertin même qui s’acharne à la violer, cet érotisme aura pour aiguillon et pour manifestation la hantise des combles : les milliers de pages de l’œuvre de Sade sont un ressassement prodigieux de blasphèmes et de tortures, d’orgies scatologiques et bestiales ainsi que de dissertations philosophiques interminables. Le « lieu » de ces prouesses, c’est le secret, l’asile inviolable, caché aux yeux de tous, hors du monde, où la chair est mutilée dans un raffinement de supplices qui atteint à un grandissement épique. Du simple mensonge au meurtre le plus crapuleux, Sade n’épargne rien au lecteur ; vols et viols, humiliations sans fin, déchaînements anthropophagiques ou nécrophiliques..., le scandale éclate à chaque page. Et la puissance érotique de ses écrits, presque lassante à force d’être tendue, n’est pas que du côté de la savante Juliette : Justine l’ingénue la suscite tout autant dans ses troubles abandons, dont la répétition a quelque chose d’une louche complaisance.

Dans cette démesure intentionnelle, qui n’épargne pas plus l’esprit que le corps, la tête froide du libertin finit par s’échauffer : « Je voudrais, dit Clairwill, héroïne d’une fierté sans égale et belle à force de monstruosités, trouver un crime dont l’effet perpétuel agît, même quand je n’agirais plus, en sorte qu’il n’y eût pas un seul instant de ma vie où, même en dormant, je ne fus cause d’un désordre quelconque, et que ce désordre pût s’étendre au point qu’il entraînât une corruption générale ou un dérangement si formel qu’au-delà même de ma vie l’effet s’en prolongeât encore. » À quoi Juliette fait cette réponse : « Essaie du crime moral auquel on parvient par écrit. » Ainsi se dévoile la véritable dimension de ces « horreurs naturelles » : l’institutionnalisation.

Ce n’est pas tant, en effet, le corps que l’esprit qu’il s’agit, pour le libertin, de meurtrir, et le discours, chez Sade, tout à la fois précède, permet et supporte toujours l’acte, témoin la Philosophie dans le boudoir. Du même coup apparaît la raison de cet excès dans l’expression, trait propre de l’écriture du « Divin Marquis » : l’érotisme entretient avec la littérature un rapport nécessaire non seulement quant à l’intensité de son impact, mais aussi quant à sa durée. Ainsi, grâce à la littérature, le scandale érotique devient, avec Sade, absolu — pur.

Les principales œuvres de Sade

1791

Publication de Justine ou les Malheurs de la vertu.

Représentation d’Oxtiern ou les Malheurs du libertinage, drame en prose.

1795

Aline et Valcour ou le Roman philosophique et la Philosophie dans le boudoir.

1797

La Nouvelle Justine, suivie de l’Histoire de Juliette, sa sœur.

1813

La Marquise de Gange.

Parmi les publications posthumes du xxe s. :
Dialogue entre un prêtre et un moribond ;
Historiettes, contes et fabliaux ;
les Infortunes de la vertu ;
les 120 Journées de Sodome ;
Histoire secrète d’Isabelle de Bavière.

J. L.

 K. F. von Schlichtegroll, Sacher-Masoch und der Masochismus (Dresde, 1901). / W. von Sacher-Masoch, Meine Lebensbeichte (Berlin, 1906 ; trad. fr. Confessions de ma vie, Tchou, 1967-68 ; 2 vol.). / L. Stern, Sacher-Masoch ou l’Amour de la souffrance (Grasset, 1933). / M. Amiaux, le Chevalier de Sacher-Masoch (Éd. de France, 1938). / G. Lély, Vie du marquis de Sade (Gallimard, 1952-1957 ; 2 vol.). / R. Varin, l’Érotisme dans la littérature française (Éd. des Champs-fleuris, Lyon, 1952 ; nouv. éd., la Pensée moderne, 1969). / C. Elsen, Homo eroticus. Esquisse d’une psychologie de l’érotisme (Gallimard, 1953). / J. M. Lo Duca, l’Érotisme au cinéma (Pauvert, 1956-1968 ; 4 vol.) ; Histoire de l’érotisme (Pauvert, 1959) ; Érotique de l’art (Pauvert, 1966). / F. Des Aulnoyes, Histoire de l’érotisme (la Pensée moderne, 1958). / Numéro spécial de Critique (1963). / M. Blanchot, Lautréamont et Sade (nouv. éd., Éd. de Minuit, 1964). / G. Deleuze, Présentation de Sacher-Masoch (Éd. de Minuit, 1967). / Numéro spécial de l’Arc (Aix-en-Provence, 1967). / E. Lucie-Smith, l’Érotisme dans l’art occidental (Hachette, 1972).


L’érotisme dans les arts plastiques

Si l’on admet, avec Marcuse, que la civilisation est fondée sur la répression de l’érotisme et, avec Freud, que l’art prend naissance dans la sublimation des pulsions libidinales, on peut comprendre que le ressort érotique de l’art lui vaille à la fois considération et méfiance : considération parce que la civilisation n’est pas concevable coupée de ses origines érotiques ; méfiance parce que sa viabilité serait sans cesse mise en demeure par le libre exercice des valeurs érotiques. Aussi le tracé de la frontière entre érotisme reçu et érotisme honni nous fournit-il le renseignement le plus précieux qui soit sur l’état d’une société donnée.


Sacré, profane

Les sociétés de l’Antiquité, tout comme les sociétés de l’Extrême-Orient, fournissent divers exemples d’intégration de l’érotisme à l’ordre de la cité. En pareil cas, les manifestations individuelles de l’érotisme, la création artistique y compris, trouvent leur place dans le cadre global de l’érotisme sacré ou civique : si l’harmonie sociale y gagne, il n’est pas certain qu’il en soit de même pour la fantaisie individuelle. L’art érotique n’y est plus qu’une partie, souvent essentielle d’ailleurs, du programme artistique de la cité. Si paradoxal que cela puisse paraître à première vue, ce n’est pas dans de telles conditions, du moins aux yeux de l’homme d’aujourd’hui, que l’érotisme et spécialement l’art érotique peuvent porter leurs fruits les plus appréciables. L’érotisme sacré ou civique, en effet, annihile le désir individuel beaucoup plus sûrement que la proscription de l’érotisme. Nié dans le second cas, l’érotisme retrouve alors sa dimension antisociale d’affirmation de l’unique face à la loi castratrice, alors qu’il est noyé dans le premier cas par la marée de la loi orgiaque. C’est donc l’érotisme profane, surtout lorsqu’il vient à se manifester au sein d’une société puritaine ou hypocrite (pour des raisons religieuses ou politiques), qui nous paraît seul susceptible de manifester cette violence explosive dont les œuvres du marquis de Sade et la Poupée de Hans Bellmer (1902-1975) constitueraient deux exemples parfaits dans la littérature et dans l’art.