Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

Allemagne (suite)

Réalisme et idéalisme au xixe siècle

Plus que l’anecdotier Franz Krüger (1797-1857), qui excelle à représenter la foule se pressant au spectacle d’une revue, le représentant majeur du réalisme berlinois est Adolf Menzel (1815-1905), à l’œuvre immense et inégale. Il y a le Menzel fou du Grand Frédéric et de ses soldats, qu’il a représentés dans des dessins et des tableaux excessivement minutieux mais fort populaires. Il y a le peintre officiel de la cour de Guillaume Ier, que célèbrent d’immenses toiles. Mais il y a aussi l’artiste savoureux qui, après un voyage en France, exécute une pochade du théâtre du Gymnase où passe un accent de Daumier, qui, de sa fenêtre, croque quelque paysage familier ou se contente même d’un rideau que bat le vent : ce Menzel est un peintre de grande classe.

Parallèlement à l’ambitieux réalisme berlinois, il existe à Munich une sorte de réalisme bonhomme et humoristique, celui de Karl Spitzweg (1808-1885), qui possède, avec le sens du comique petit-bourgeois, un don exquis de la couleur. Mais l’artiste le plus puissant est assurément Wilhelm Leibl (1844-1900), qui s’exprimait sur la peinture idéaliste de son temps avec la verdeur brutale d’un Courbet. Au cours d’un séjour d’études en France, il exécuta sa magistrale toile de la Cocotte, qui fit sensation ; il se retira assez tôt à la campagne, et ses tableaux paysans de la région de Dachau ne vont pas sans une certaine sécheresse. Leibl a donné quelques-uns des plus beaux portraits de son siècle, mais ce n’est pas à lui que s’adressaient les grands personnages. Franz von Lenbach (1836-1904) s’était fait la spécialité de représenter Guillaume Ier, Bismarck et leur entourage avec un métier truculent d’apparence, en fait extérieur et assez lassant.

Les mouvements fondés sur la soumission à la nature ne jouissent jamais en Allemagne d’une franche popularité. L’irréalisme prend forcément le dessus. Bon portraitiste, Anselm von Feuerbach (1829-1880) fut saisi à Rome de la nostalgie de l’antique, qu’il transposa dans des compositions manquant de vie. Cependant, les deux idéalistes par excellence sont le Suisse Arnold Böcklin* (1827-1901), dont l’Île des morts a enchanté la bourgeoisie sentimentale d’Allemagne, et Hans von Marées (1837-1887). Ce dernier vécut dans un idéal jardin des Hespérides, noyé d’une brume où se simplifient les formes que fait saillir la lumière. On regrette qu’il n’ait pas appliqué son art à des sujets moins hautains, car les quelques scènes familières que comportent ses décorations de la station zoologique de Naples ont une valeur intime assez inattendue. Du milieu de Marées et de son protecteur, le théoricien d’art Konrad Fiedler (1841-1895), était sorti le sculpteur Adolf von Hildebrand (1847-1921), esprit profond qui exerça surtout une influence par son petit livre sur le Problème de la forme dans les arts plastiques (1893). Cette tendance idéaliste se prolonge dans le symbolisme esthétisant de Max Klinger (1857-1920) et de Franz von Stuck (1863-1928). L’un et l’autre rêvaient d’être des artistes complets : Klinger tenta de réaliser ce rêve à Leipzig, où dans un décor polychrome est assise sa statue de Beethoven, tandis qu’une vaste peinture couvre la muraille. Stuck avait construit à Munich, pour lui-même, une sorte de palais villa à l’italienne, qui abrite un musée depuis 1965. Tous deux furent d’excellents graveurs.

On a passé sous silence une médiocre école de peinture historique, qui connut pourtant de grands succès : l’atelier de son coryphée Karl von Piloty (1826-1886) regorgeait d’élèves. La seule exception de qualité est celle d’Alfred Rethel (1816-1859), qui fait preuve d’une très grande dignité dans les fresques de l’hôtel de ville d’Aix-la-Chapelle*, mais qui, comme tant de ses compatriotes, est encore plus heureux dans ses gravures romantiques de la Danse des morts.


L’impressionnisme

Alors que l’Allemagne des amateurs avait reconnu et admis les impressionnistes français avant la France elle-même, les peintres allemands ont vite reproché à cette peinture de n’être que peinture, d’imiter la nature sans la transposer. Et c’est par opposition à « impressionnisme » qu’apparaîtra outre-Rhin, vers 1910, le mot « expressionnisme ». Il n’y a eu en somme, en Allemagne, qu’un franc impressionniste : Max Liebermann (1847-1935). Homme d’une intelligence critique aiguë, excellent dessinateur et graveur, il peignit, surtout vers la fin de sa carrière, des toiles d’une fraîcheur savoureuse. On range parfois auprès de lui Max Slevogt (1868-1932), peintre plein de brio et surtout illustrateur spirituel, et aussi Lovis Corinth (1858-1925) qui, sous son aspect de violence, cache mal un certain académisme.


Les débuts de l’architecture moderne

Un phénomène capital de la période immédiatement antérieure à la Première Guerre mondiale a été la résurrection de l’architecture allemande. La victoire de 1870-1871, un développement industriel prodigieux ouvraient à l’architecture d’immenses possibilités. Elles furent d’abord fort mal utilisées : c’est le temps des énormes gares romanes ou gothiques. L’Allemagne connut ensuite l’art* nouveau sous le nom de « Jugendstil », à la fois style de la jeunesse et style de la revue Jugend. Il y eut quelques réalisations architecturales, comme à Munich l’atelier Elvira d’August Endell (1871-1925), mais l’intérêt se porta principalement, et non sans succès, sur les arts décoratifs ou industriels.

Le problème de l’architecture convenant à une société industrielle était au premier rang des préoccupations. Dès 1897, Alfred Messel (1853-1909) construisait à Berlin les magasins Wertheim, qui, outre une organisation interne modèle, offraient par leurs verticales, à peine contaminées de gothique, des solutions neuves et appropriées à leur objet. Un événement capital fut la fondation à Munich, en 1907, du Deutscher Werkbund (« Union allemande pour l’œuvre »), qui avait pour programme la collaboration de l’art, de l’industrie, du commerce et des métiers. Il comprenait notamment Peter Behrens (1868-1940), à qui ses travaux pour le compte de l’A. E. G. à Berlin, à partir de 1907, donnaient une autorité considérable (par exemple sa fabrique de turbines, modèle de sobriété et de proportions), le Belge Henry Van de Velde (1863-1957), Walter Gropius* (1883-1969), qui éleva un des pavillons les plus importants de l’exposition du Werkbund à Cologne, en 1914, et Mies Van der Rohe* (1886-1969). Partout s’élevaient, à la veille de la Première Guerre mondiale, des banques, magasins, usines d’une remarquable appropriation, sans compter les cités ouvrières et les ensembles d’habitation. Les constructions hautes comportaient souvent des bandeaux verticaux dépourvus de chapiteaux, si bien que l’on a parlé d’un « style vertical ». Cette orientation fonctionnelle n’excluait pas des recherches plus imaginatives comme celles de Hans Poelzig (1869-1936) ou d’Erich Mendelsohn (1887-1953). La défaite allemande interrompit à peine cette activité : le fameux Chilehaus de Fritz Höger (1877-1949), à Hambourg, fut achevé en 1922-1923. Ce qui importe surtout, c’est la tenue générale de cette architecture.

P. D. C.