Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

entreprise (suite)

Un rôle juridictionnel, exercé sur le pouvoir disciplinaire du chef d’entreprise, représente enfin, en la matière, la garantie essentielle du travailleur. Mais, la charge de la preuve incombant à ce dernier, le recours à la justice est, en réalité, malaisé ; de plus, fait très grave, l’employeur ne peut être astreint, en principe, en droit du travail français, qu’à des dommages-intérêts et non à la réintégration en cas de congédiement. Une théorie dite « du détournement du pouvoir disciplinaire » permet de fonder le contrôle du juge sur ces points.


La représentation des travailleurs et des syndiqués dans l’entreprise française

Le travailleur se trouve, de nos jours encore, marqué par la position de sujétion dans laquelle il s’est trouvé à l’égard de l’entreprise qui l’emploie. Cette sujétion s’explique notamment par la résistance aux réformes exercée par le patronat et par la longue abstention de l’État dans le domaine de la réglementation des relations du travail. Le travailleur a, en principe, mis juridiquement sa force de travail, voire son talent, à la disposition de l’employeur, qui en dispose librement et n’est tenu essentiellement, en échange, qu’à l’obligation de payer le salaire convenu. Telle est la portée du contrat de travail en régime libéral. Le travailleur ne participe pas, en principe, aux décisions qui sont prises dans l’entreprise.

L’idée de « participation » des travailleurs à la vie même de l’entreprise, c’est-à-dire aux décisions prises à l’intérieur de celle-ci, est pourtant ancienne : une des premières — sinon la première — des approches réalisées en ce domaine est celle de l’industriel catholique Léon Harmel, qui avait fait fonctionner en son entreprise du Val-des-Bois, près de Reims, un conseil professionnel (1885), puis un conseil d’usine (1893) assurant, au moins à titre consultatif, la concertation du patronat et des travailleurs pour le fonctionnement de certaines institutions sociales propres à l’entreprise (v. catholicisme social). Par la suite, la question fut réduite à l’existence de « délégués ouvriers », « organes de la collectivité des travailleurs de l’entreprise » (Rivero-Savatier) : leur présence soulevait la résistance du patronat, mais aussi l’opposition des syndicats* de travailleurs, qui voulaient, eux, monopoliser l’activité de « représentation » des intérêts des travailleurs, sans concurrence aucune, dans cette fonction, de toute ligne « non syndicale ».

1936 vit une reprise du problème à la suite des accords Matignon. La loi du 24 juin 1936 conféra aux délégués un rôle en fait réduit : essentiellement la présentation, à la direction de l’entreprise, des réclamations du personnel. Ce rôle sera ultérieurement repris (après 1945) par les « délégués du personnel » : après l’expérience temporaire de l’État de Vichy, instaurant la Charte du travail, le gouvernement de la Libération institua, dans ses grandes lignes, le système de représentation des travailleurs encore en vigueur dans l’entreprise française contemporaine.

La portée des réformes aboutissant à l’instauration, dans l’entreprise française, des institutions qui vont être décrites est considérable : le caractère foncièrement inégalitaire qui caractérisait au xixe s. le monde du travail tend à s’atténuer au profit d’une conception plus équilibrée, la communauté des travailleurs étant mieux représentée et défendue ; le manque d’intégration de l’ouvrier du siècle dernier à la société globale et, en premier lieu, à l’entreprise qui l’employait — carence ayant fait du travailleur, put-on dire, un être « campé dans la nation » — recule sensiblement ; la toute-puissante et unilatérale autorité du chef d’entreprise tend (à l’instar de l’évolution se faisant jour dans la société politique) à être freinée par des contre-pouvoirs, ceux des organes de représentation dont disposent les travailleurs dans l’entreprise ; enfin, depuis décembre 1968, le syndicat acquiert droit de cité dans l’entreprise française, qui l’admet avec ses organes propres, alors que, depuis la loi de 1884, il demeurait à l’extérieur de celle-ci.


La représentation du « personnel » dans l’entreprise : délégués du personnel et comités d’entreprise


Désignation (dispositions communes)

Le principe démocratique de l’élection* est appliqué à l’entreprise, les travailleurs élisant en leur sein leurs propres représentants. L’intervention des syndicats de travailleurs (syndicats qui représentent l’autre ligne de « représentation », dont il sera parlé plus loin) a, cependant, interféré ici, et le législateur a dû tenir compte de leur présence.

Tous les salariés âgés d’au moins seize ans et travaillant dans l’entreprise depuis six mois au moins (les étrangers ne doivent plus justifier de cinq années de travail en France pour être assimilés aux Français en ce domaine) sont électeurs. Les électeurs sont, en fait, répartis en trois collèges (ouvriers et employés, maîtrise, collège des cadres), collèges nommant des représentants distincts ; sont éligibles les salariés des deux sexes, français (ou étrangers sachant lire et écrire le français), âgés d’au moins dix-huit ans et travaillant dans l’entreprise depuis au moins une année. Il faut noter qu’ils doivent faire l’objet d’une procédure de présentation par l’une des organisations syndicales « représentatives », au premier tour du scrutin au moins.

Au premier tour, les listes de candidats, comportant chacune autant de noms que de sièges à pourvoir, sont présentées aux électeurs par les « syndicats représentatifs », reconnus tels par l’Administration. Le principe de la représentation proportionnelle est appliqué. Les électeurs peuvent modifier l’ordre de présentation en exerçant un vote préférentiel. Il n’y a second tour que si le nombre des votants est, au premier tour, inférieur à la moitié des électeurs inscrits ; d’autres listes peuvent, au second tour, être présentées, et, cette fois, sans l’intervention obligatoire des syndicats dits « représentatifs ». Les réclamations sont portées devant le tribunal d’instance.