Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

entreprise (suite)

L’élaboration de « modèles de gestion » sera ainsi une des activités les plus importantes d’un cadre d’entreprise ; il s’agit de représenter (par exemple sous forme de schéma) une situation de l’entreprise sous un certain point de vue, à un certain niveau d’agrégation et en fonction d’un objectif précis. Ce travail de formalisation, peu habituel aujourd’hui encore chez le chef d’entreprise, permettra de préciser les variables importantes et les relations qu’elles ont entre elles ; ce n’est, en effet, qu’après avoir défini précisément la structure du système à maîtriser que le responsable déterminera des règles d’action et des politiques ; la simulation sur ordinateur sera, pour ce faire, souvent un aide précieux ; non seulement elle permettra de déterminer les effets probables de telle ou telle décision, mais également elle aidera à faire une analyse des risques de telle ou telle politique.

L’ordinateur, qui apparaît ainsi comme un outil permettant de mieux maîtriser les aléas, commence déjà à être utilisé à tous les niveaux hiérarchiques. Son utilisation ne se limitera pas, cependant, à faire fonctionner des modèles isolés ; certains systèmes d’information de l’entreprise se développent et s’automatisent (management information system) ; les banques de données se multiplient, offrant aux cadres des informations neuves fiables au niveau d’agrégation correspondant à leurs besoins. Les machines de traitement de l’information permettront aux différents responsables de mieux contrôler le système dont ils ont la charge ; ce qui distinguera le chef d’atelier du chef d’entreprise sera la dimension spatio-temporelle du système à maîtriser ; ils se comporteront cependant tous deux en cybernéticiens. Ce changement d’état d’esprit et de méthode de travail augmentera sans doute le pouvoir de l’entreprise et de ses « managers » ; le problème du choix des buts deviendra essentiel.

M. B.

Dimensions sociologiques de l’entreprise

Pour les classiques, l’entreprise avait un rôle exclusivement économique : elle assurait la combinaison optimale des facteurs de production (capital, travail) en vue de satisfaire les besoins de la population. L’absence de concurrence parfaite et l’impact des théories marxistes ont posé le problème de son pouvoir politique.

L’entreprise privée est juridiquement soumise à la volonté de ses propriétaires. De droit, les associés dirigent collectivement l’entreprise ; ils utilisent souvent un régime représentatif, et le pouvoir de chacun est proportionnel au montant de sa part. Le contrat de travail, qui établit un lien de subordination entre l’employé et l’employeur, se distingue nettement du contrat de société. Certes, le comité d’entreprise donne à l’ensemble du personnel un droit de regard et lui permet même (dans les sociétés anonymes) de se faire représenter par deux délégués au conseil : son pouvoir reste cependant souvent illusoire.

Bien qu’inspirées par l’idéal de la participation, les ordonnances de 1967, qui permettent aux salariés des entreprises de plus de cent employés de participer sous des formes variées au bénéfice fiscal de la société (v. intéressement), n’ont guère modifié l’opposition capital-travail. La loi française (24 juill. 1966) demeure catégorique : posséder donne le droit, en principe exclusif, de diriger. La réalité est, cependant, souvent moins nette.

L’État est un des principaux acteurs qui vient limiter le pouvoir de la fortune : l’existence d’un plan « à la française » permet d’envisager une concertation État-entreprises, rendant ces dernières plus soucieuses du bien commun ; sans être dirigiste, un État moderne peut, par diverses mesures économiques (action sur la monnaie, le crédit, les prix, les échanges, la fiscalité et les subventions), inciter les entreprises à se conformer à certaines politiques ; l’État-acheteur peut exercer des pressions importantes dans de nombreux secteurs de l’activité économique (les collectivités publiques des États-Unis financent près d’un quart de l’activité économique globale) ; l’État-législateur a régularisé le marché du travail, garantissant aux salariés, souvent à la suite de luttes syndicales très longues, les conditions d’emploi et de sécurité.

L’action des syndicats, constitués, selon les pays, au niveau de la nation, de la région, d’un secteur économique et (ou) de l’entreprise, vient également limiter le pouvoir des chefs d’entreprise : exigeant traditionnellement des avantages sociaux précis, ils demandent, de plus en plus fréquemment, de participer à la gestion de l’entreprise.

Les groupements de consommateurs, grâce à une action d’information souvent importante, deviennent également, surtout dans les pays anglo-saxons, des partenaires avec lesquels l’entreprise doit compter.

L’État, les syndicats et les consommateurs limitent donc le pouvoir de l’entreprise ; ils ne touchent, cependant, qu’assez peu au pouvoir des propriétaires au sein de l’entreprise. C’est la complexité des problèmes de gestion, résultant notamment de la taille des entreprises et des changements technologiques, qui a modifié en fait l’équilibre des pouvoirs au sein de l’entreprise : bien qu’il subsiste, surtout en Europe, de nombreuses entreprises familiales, les principaux dirigeants d’entreprise sont aujourd’hui en fait des « managers », c’est-à-dire des spécialistes de la direction ; dans les grandes entreprises, c’est plus souvent leur capacité que leur fortune qui les a amenés à un haut niveau hiérarchique. Les décisions qu’ils prennent demeurent, néanmoins, exercées non pour leur compte, mais pour celui de ces propriétaires de l’entreprise ; c est le règne de la « technostructure ». La principale activité d’organisation et de planification de cette sphère directionnelle qui détient l’exercice réel du pouvoir est d’assurer à l’entreprise une certaine sécurité et une autonomie importante.

La grande entreprise au total tend à former ainsi une cellule économique vivante, constituée d’hommes — son personnel —, mais dans laquelle les actionnaires forment un groupe (de moins en moins actif) dont il faut tenir compte au même titre que de l’État, des syndicats et des consommateurs. Le jeu du pouvoir et de la pression s’y fait jour comme dans toute organisation sociale.

M. B.