Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

enfant (suite)

La régulation intuitive de la pensée peut être mise en défaut, comme dans l’observation désormais classique de la non-conservation des quantités, qui a été mise en évidence par Piaget et Bärbel Inhelder dans des expériences analogues à celle-ci : on transvase devant l’enfant un certain volume d’eau d’un verre large dans un verre plus étroit. Lorsqu’on lui demande ensuite dans quel verre il y a plus d’eau ou s’il y a « pareil » d’eau, il prétend qu’il y a « plus d’eau » dans le verre étroit. De la même façon, lorsqu’on étire devant lui une boulette de pâte à modeler, il affirme qu’il y a plus de pâte dans le « serpent » que dans la boule.

• Le stade des opérations concrètes (de 7-8 ans à 11-12 ans). L’enfant a désormais acquis la notion de conservation (réversibilité portant sur des modèles concrets). Il peut effectuer des sériations (classifications selon des différences ordonnées), des correspondances termes à termes, des opérations arithmétiques.

• Le stade des opérations formelles (à partir de 12-13 ans). Il est caractérisé par la possibilité d’un raisonnement hypothético-déductif, c’est-à-dire la capacité de raisonner sur des énoncés abstraits.

Les sciences de l’enfance

Les sciences de l’enfance et les spécialisations professionnelles qui s’y rapportent sont aujourd’hui multiples : pédiatrie, psychologie de l’enfant et psychogénétique, psychopathologie de l’enfant, pédagogie et pédagogies spécialisées (selon les formes et les degrés de gravité des troubles présentés par les enfants : sourds-muets, débiles, caractériels, infirmes moteurs, etc.). La source première de toutes ces sciences a été la pédagogie.

Quoique le terme ne date lui-même que du xve s., l’éducation, comme fonction sociale de transmission du savoir acquis, portait en elle le germe de l’intérêt futur envers l’enfant lui-même en tant que récepteur ayant ses lois psychologiques propres. La psychologie génétique se développa à la fin du xixe s. à partir de la psychologie générale et particulièrement de la psychologie expérimentale. Par ailleurs, l’essor, dans la seconde moitié du xixe s., de l’embryologie, de la génétique et de la pathologie médicale eut un effet certain sur la constitution de la pédologie. Deux noms restent attachés spécialement à l’essor de la psychologie de l’enfant : Alfred Binet* (1857-1911), créateur des premières mesures du développement mental global et pionnier des recherches expérimentales dans ce domaine, et Sigmund Freud* (1856-1939), qui découvrit l’influence décisive des années d’enfance sur la personnalité adulte et qui fonda la psychopathologie de l’enfant. Après eux, de grands maîtres développèrent cette nouvelle science, parmi lesquels Henri Wallon* (1879-1962), Arnold L. Gesell (1880-1961) et Jean Piaget* (né en 1896). On peut dire que le xxe s. aura été le siècle de l’enfant, tant les recherches se sont multipliées dans tous les domaines d’application.


Le développement de la personnalité de l’enfant

On admet aujourd’hui que les progrès s’accomplissent par la conjonction de trois données : 1o la maturation progressive de l’organisme, avec ses « périodes sensibles » (selon l’expression de Maria Montessori*), c’est-à-dire les moments où les progrès nouveaux sont devenus possibles parce que l’organisme est neurologiquement ou psychologiquement mûr pour les accomplir ; 2o la présence de modèles dans l’entourage immédiat ; 3o l’expérience personnelle tâtonnante, s’effectuant selon les deux processus actifs fondamentaux décrits par Piaget, l’assimilation (construction de schèmes d’action et projection de ces schèmes sur le milieu) et l’accommodation (modification des schèmes propres pour les adapter à des conditions nouvelles du milieu).


De la naissance à 1 an

Le nouveau-né normal est doté du potentiel héréditaire de l’espèce humaine et de son potentiel génétique propre, modulés par les conditions de la vie intra-utérine. Il possède quelques réflexes (succion, rotation de la tête à la stimulation de la joue, agrippement de tout ce qu’on présente à portée de sa main, ou grasping-reflex). Mais son existence est intégralement parasitaire : besoin d’air, de chaleur, de lait et d’amour maternel. Ses états affectifs fondamentaux oscillent seulement entre deux pôles : quiétude et inquiétude-agitation. Son univers, dénué de toute représentation, est centré sur la mère (ou son substitut) ; cette relation unique, comportant des échanges non verbaux de type animal, est telle que toute carence maternelle entraîne un arrêt du développement psycho-affectif irréversible si elle se prolonge plus de six mois.

À partir du 3e mois, l’enfant répond par un sourire au visage humain, mais à condition qu’il soit présenté de face et en mouvement, les yeux bien visibles. Le visage humain est le seul stimulus qui, à cet âge, puisse provoquer cette réponse.

Au cours du 4e mois, il devient capable de suivre des yeux sa main lorsqu’elle se déplace dans son champ visuel : la coordination entre sensation visuelle et proprioceptive est établie. Puis son registre émotionnel s’enrichit et se différencie considérablement ; en particulier apparaît la réaction de peur devant un visage inconnu ou devant un objet ou une personne avec qui il a eu des expériences désagréables : c’est l’angoisse des huit mois décrite par René A. Spitz. Corollairement, l’enfant devient capable de reconnaître le visage de sa mère en tant que tel.

À cette époque se situe également le « stade du miroir », caractérisé par l’expression de jubilation de l’enfant devant son image dans un miroir, qui, ainsi que Jacques Lacan* l’a montré, constitue un moment essentiel dans la dialectique des identifications. Du point de vue de l’évolution intellectuelle, nous en sommes à ce que Piaget nomme le stade sensori-moteur et Wallon* le syncrétisme indifférencié.

La fin de la première année est marquée par trois progrès importants :
1o la marche, rendue possible par la maturation du système neuromusculaire, mais aussi par la présence de modèles humains à cette période sensible ; comme le souligne H. Wallon (1954) : « La marche augmente les possibilités d’exploration de l’espace. Elle intervient comme moyen de contact avec le monde extérieur et permet à l’enfant de raccorder des morceaux d’espace proche et d’en faire un espace unique distinct de son propre corps » ;
2o le début de la mastication, qui annonce le déclin de la succion-déglutition ; mais l’enfant continue à tout porter à sa bouche, qui demeure l’organe majeur de « connaissance du monde » ; elle est la zone la plus sensible et permet d’apprécier le goût, la consistance, la résistance de l’objet ;
3o le premier contrôle suspendant le geste commencé. Ce phénomène très important marque le début de l’acquisition du pouvoir d’arrêter l’impulsion (inhibition) pour conserver l’accord de l’entourage : début de la tolérance à la frustration.