Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

énergie (suite)

La variation d’énergie interne est également nulle pour un système chimiquement isolé toutes les fois que celui-ci a parcouru un cycle de transformations : il y a exacte compensation entre ses échanges d’énergie avec l’extérieur. Il résulte de là l’impossibilité, depuis longtemps reconnue, du moteur perpétuel dit « de première espèce », moteur cyclique qui fournirait plus d’énergie qu’il n’en recevrait ; mais il est plus important de remarquer qu’un moteur cyclique fonctionne en convertisseur d’énergie, permettant le passage d’une variété d’énergie à une autre ; les exemples en sont nombreux et importants : moteur thermique, moteur ou générateur électriques... Si, d’une façon générale, le rendement d’un moteur est inférieur à l’unité, c’est parce que des phénomènes tels que frottement mécanique et effet Joule sont créateurs d’entropie* en transformant une partie de l’énergie reçue en chaleur irrécupérable ; ce sont ces phénomènes qui font de la chaleur une variété d’énergie que l’on dit volontiers « dégradée ».

D’une façon générale, les échanges d’énergie sont liés à des modifications des corps : position, vitesse ; mais aussi, à l’échelle moléculaire, on trouve : l’énergie d’agitation des molécules et des atomes, modifiée par exemple par apport de chaleur ; l’énergie des liaisons interatomiques, modifiée lors d’une réaction chimique à laquelle participe le corps ; l’énergie de liaison des particules à l’intérieur de l’atome, électrons, protons, neutrons ; c’est elle qui apparaît lors des réactions de fission ou de fusion nucléaires. Enfin, et d’une manière générale, l’énergie d’un corps est liée à sa masse : la théorie de la relativité fournit en effet l’expression de l’énergie interne totale d’un corps : U = m.c2 (relation d’Einstein), où c est la vitesse de la lumière dans le vide, m la masse du corps. Cette relation met en défaut les deux principes de conservation, d’une part de la masse, d’autre part de l’énergie, dans un système isolé ; mais, en même temps, elle suggère le principe plus général de conservation de : masse + énergie, évaluées en une unité commune.

R. D.

 G. Darmois, Matière, électricité, énergie (P. U. F., coll. « Que sais-je ? », 1957, 3e éd., 1966).


Géographie de l’énergie

L’anthropologue américain Leslie Whyte a vulgarisé les thèses soutenues au début du siècle par le physicien allemand Wilhelm Ostwald (1853-1932) et par le biologiste américain George G. MacCurdy. Il reprend au premier la formule selon laquelle « l’histoire de la civilisation devient l’histoire des progrès du contrôle que l’homme se donne de l’énergie », au second l’idée que « le degré de civilisation de toute époque, peuple ou groupe de peuples est mesuré par la capacité à utiliser l’énergie pour satisfaire les besoins de l’homme ou favoriser son progrès ». On ne peut sans doute pas accepter ces points de vue sans quelque nuance, mais l’idée générale qu’ils expriment est juste. La révolution néolithique permet à l’homme de contrôler l’énergie emmagasinée dans les plantes par la photosynthèse. Les premiers développements de l’industrie sont liés à l’utilisation du moulin à vent et du moulin à eau, comme l’essor de l’industrie du xixe s. l’est à l’utilisation de la machine à vapeur.

On a quelque peine à évaluer de manière précise l’évolution des besoins en matière énergétique. Jusqu’à la fin du xviiie s., dans la plupart des pays du monde, la quantité d’énergie utilisée par chaque individu n’excédait guère celle qui lui était fournie par les aliments nécessaires à son existence : en moyenne, on peut l’estimer à 2 000 cal par jour, ce qui représente l’énergie dispensée par une puissance installée de 100 W durant une journée. Des calculs montrent que l’Américain consomme en moyenne aujourd’hui l’énergie développée par une puissance de 10 kW durant un jour. En deux siècles, la consommation s’est trouvée multipliée par 100.

Jean Fourastié a cherché à rendre sensible cette mutation en calculant le nombre d’« esclaves mécaniques » que le progrès met ainsi à la disposition de chacun de nous. En transposant son expression, on pourrait dire que chaque Américain utilise à l’heure actuelle 99 esclaves énergétiques. À quoi les emploie-t-il ? Un d’entre eux aide à la production agricole. Les activités industrielles en mobilisent en moyenne 35 pour chaque Américain, les activités commerciales, 9. Les transports en absorbent 20, comme aussi les usages domestiques. Parmi ceux-ci, le chauffage compte pour 11, l’éclairage et les usages mécaniques (sous la forme d’énergie électrique), pour 5. D’autres utilisations, très variées, comptent pour 15.

Ces chiffres sont liés aux conditions américaines. L’importance du chauffage domestique tient à la rigueur des hivers, comme les transports aux dimensions de l’espace intérieur. Ils traduisent aussi des besoins communs à toutes les sociétés industrielles : on y trouve partout les mêmes emplois massifs pour la production industrielle, les activités de relation : c’est ce qui explique que la consommation énergétique soit un élément très significatif pour qui veut connaître le niveau de développement.

L’évaluation des productions et des emplois globaux offre toujours des difficultés. L’énergie est fournie par des sources et sous des formes diverses : énergie mécanique, calorifique, chimique, électrique. Il faut trouver une unité commune. Il semble que la mesure en termes d’équivalents mécaniques ou électriques, en kilowatts-heures comme nous venons de le faire dans l’exemple américain, soit la plus précise. Ce n’est pourtant pas la méthode généralement employée par les économistes : ils transforment toutes les formes d’énergie en équivalent charbon, en équivalent calorifique. La faiblesse de la méthode provient de ce que les progrès des machines thermiques ont modifié, au cours du temps, les rapports de conversion de l’énergie calorifique en énergie mécanique. Au début du siècle dernier, le rendement de la transformation, avec les premières machines à vapeur, n’excédait généralement pas 5 p. 100. Avec les turbines des centrales les plus modernes, il peut avoisiner 40 p. 100.