Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

Élisabeth Ire (suite)

Cette politique devait valoir à Élisabeth deux sortes d’ennemis : les catholiques et les puritains. Les premiers étaient revigorés par l’envoi de missions venues des collèges anglais de Douai et de Reims. Élisabeth se refusa d’abord à la persécution religieuse : mais la bulle Regnans in excelsis (25 févr. 1570), qui déliait ses sujets catholiques de toute obligation d’obéissance, lui fournit un prétexte de répression ; ce fut cependant pour des motifs politiques que furent exécutés des hommes comme les missionnaires Cuthbert Mayne (1544-1577) et Edmund Campion (1540-1581).

Une autre opposition, plus lourde de dangers, venait des protestants radicaux, les puritains, forts non pas de l’appui populaire, mais de leur influence à l’université et sur une partie importante des couches dirigeantes du pays. C’est au Parlement que le problème se posa. Les anglicans invoquaient la prérogative royale en matière religieuse, alors que, pour beaucoup de parlementaires, c’était au Parlement de se saisir de ces questions. Si la reine eut, en fin de compte, gain de cause, le problème resta posé, laissant entrevoir la crise qui devait déchirer l’Angleterre au xviie s.

Dans l’ensemble, cependant, la reine n’eut pas de difficultés trop grandes dans ses rapports avec le Parlement. Il est vrai qu’au sein de celui-ci elle disposait d’appuis solides, car des membres influents de son entourage en faisaient toujours partie. Ces gens expérimentés savaient orienter les débats, et il leur était facile de contenir les discussions dans les limites souhaitées par la reine.

En outre, Élisabeth avait su s’entourer d’une pléiade d’hommes de valeur, qui donnèrent à son gouvernement stabilité et efficience. Le grand homme de son Conseil fut William Cecil (1520-1598), bientôt baron Burghley, qui avait déjà fait ses preuves sous Edouard VI. Il faut lui joindre Thomas Gresham (1519-1579) et Walter Mildmay (1520-1589), les spécialistes des questions financières, Francis Walsingham (v. 1530-1590), le secrétaire d’État, et John Hawkins (1532-1595), l’homme de la marine. Il y avait aussi les cousins de la reine, Henry Carey (v. 1524-1596), baron de Hunsdon, et Francis Knollys (v. 1514-1596) ainsi que des courtisans comme Leicester ou sir Walter Raleigh*. Il ne faut pas se les représenter comme un groupe uni : des hommes comme Leicester et William Cecil passèrent leur vie à se combattre. Mais ce fut une des forces d’Élisabeth que de s’entourer de conseillers qui avaient des avis divergents : elle put ainsi préserver pleinement son indépendance. La disparition de la plupart de ces hommes de valeur, que ne put tout à fait remplacer Robert Cecil (1563-1612), comte de Salisbury, le fils de William Cecil, explique sans doute la dernière péripétie du règne, la révolte de Robert Devereux (1566-1601), comte d’Essex : beau et brillant, Essex n’en était pas moins une tête brûlée, déçu dans son égoïsme par des déboires de carrière. Lorsque, le 8 février 1601, il essaya de soulever la population londonienne, il échoua complètement et fut exécuté quelques jours plus tard.

Il ne faut pas, bien sûr, se faire une image trop enthousiaste du règne. Les pauvres pullulaient en Angleterre, victimes désignées des pestes et des famines. Si Élisabeth, pour ne pas s’attirer d’ennuis avec le Parlement, n’exigea pas de lourds impôts, elle se procura de l’argent par des méthodes qui aboutirent à des conditions de vie plus dures pour le peuple : les distributions de monopoles économiques, les dévaluations monétaires accentuèrent la hausse des prix conjoncturelle. Il n’empêche que le règne d’Élisabeth représente une période de force et d’unité nationale pour l’Angleterre.


L’Angleterre et l’extérieur

D’emblée, Élisabeth dut faire face à une situation extérieure difficile. Il paraissait normal qu’elle suivît la voie tracée par Henri VIII, celle de l’alliance Habsbourg contre la France. Mais l’opinion anglaise était hostile à l’Espagne — le souvenir du règne de Marie Tudor et de Philippe II restait cuisant. Quant à l’Espagne, elle voyait d’un mauvais œil le protestantisme d’Élisabeth ; d’ailleurs, épuisée, elle venait de conclure avec la France le traité du Cateau-Cambrésis (1559), dont l’Angleterre faisait les frais, puisqu’il consacrait la perte de Calais.

Si Élisabeth n’avait qu’un fragile allié, elle avait au contraire un ennemi déclaré : la France. Henri II avait fait proclamer reine d’Angleterre sa belle-fille, Marie Stuart, déjà reine d’Écosse. Pourtant, l’Écosse supportait mal la tutelle française. Élisabeth sut tirer parti de cette situation ; la révolte des protestants écossais, enflammés par la prédication de John Knox*, lui fournit le prétexte voulu. Élisabeth les aida en secret : mais, lorsqu’une flotte anglaise (en principe privée) détruisit les vaisseaux qui ravitaillaient les troupes françaises, il devint impossible de dissimuler. Le traité de Berwick (27 févr. 1560) affirma l’alliance anglo-écossaise. L’armée anglaise était prête grâce à des emprunts négociés par un des conseillers de la reine, Gresham : elle ne fit pas merveille, mais les Français échouèrent. Le traité d’Édimbourg consacrait leur retrait d’Écosse (5 juill. 1560).

Prudente, soucieuse avant tout de ne pas grever les finances royales, Élisabeth s’en tenait là. Ce n’est qu’en 1562 que ses conseillers William Cecil et Nicholas Throckmorton réussirent, devant le danger que faisait courir à l’Angleterre la politique de la maison de Guise, à la convaincre de s’allier aux protestants français : les Anglais occupèrent Le Havre (oct.). Mais une réconciliation générale en France (mars 1563) et la peste obligèrent la garnison du Havre à capituler.

Au reste, des changements décisifs se préparaient dans l’orientation de la politique extérieure de l’Angleterre. La raison profonde de ces changements fut la recherche par l’Angleterre d’un accès au Nouveau Monde, ce qui la mit en concurrence avec les pays qui s’en étaient assuré le monopole, l’Espagne et le Portugal. La noblesse anglaise, grâce à l’élevage du mouton, et la bourgeoisie, grâce à la prospérité de l’industrie textile, avaient accumulé d’importants capitaux. Une gentry prolifique fournissait des hommes doués d’énergie aussi bien que de capacités exceptionnelles, car l’éducation était certainement plus répandue en Angleterre que partout ailleurs en Europe.