Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

Allemagne (suite)

Comparée à ce texte majeur, toute la production du temps, savante ou populaire, sur la scène ou dans les livres, apparaît sans vraie portée. Le luthéranisme, qui a fait fleurir à la suite de son fondateur une série de recueils de cantiques souvent très poétiques, ainsi ceux de Paul Gerhardt (1607-1676), qui a favorisé aussi l’essor de la musique, d’abord d’église, a retardé longtemps la naissance d’une littérature profane. Musiciens, chanteurs et théologiens, les Allemands ne sont devenus prosateurs qu’au siècle des lumières.

Entre la Réforme et le siècle des lumières, les pays allemands ont été déchirés et ravagés par la guerre de Trente Ans. Celle-ci a laissé tant de ruines, matérielles et morales, qu’il a fallu attendre longtemps après sa fin, en 1648, pour que les villes reprennent le goût de la poésie que les maîtres chanteurs avaient essayé de faire survivre.

Les écrivains du xviie s. donnent des témoignages aujourd’hui encore éloquents sur les crises de cette époque, particulièrement dramatique dans les pays allemands.

Le Simplicissimus de Christoph von Grimmelshausen* est devenu une figure folklorique. L’auteur de ce roman picaresque avait mené de 1620 environ à 1676 une vie agitée par les péripéties de la guerre, pour finir bailli dans la jolie vallée de la Rench, en Forêt-Noire. Il a dépeint dans son roman les aventures d’un fils de paysan, orphelin de guerre qu’il a baptisé Simplex ou encore Simplicissimus pour sa candeur et son perpétuel étonnement devant les surprenantes situations où le jettent les vicissitudes de la guerre, auxquelles il se trouve mêlé sans l’avoir voulu, mais où il excelle cependant à tirer son épingle du jeu. Ce Candide à l’allemande, moins rusé que Till Eulenspiegel, moins poète que le Taugenichts du romantique Eichendorff, élevé au fond des bois par un ermite, soldat de fortune qui suit l’un ou l’autre parti, voyageur étonné et ravi de découvrir les délices et les dangers de la vie à Paris, charlatan à ses heures, ironique ou pieux suivant les circonstances, finit dans la retraite, loin du monde et de son tumulte. Le succès de ce récit à tiroirs incita Grimmelshausen à composer un autre roman du même ton, la Vagabonde Courage, dont la prose réaliste devait inspirer Brecht.

Si le livre de Grimmelshausen est demeuré seul vivant, la littérature du xviie s. compte beaucoup d’autres romans, les tragédies nombreuses, effrayantes et édifiantes de Martin Opitz (1597-1639) et d’Andreas Gryphius (1616-1664), maître de la seconde école silésienne, les poésies déchirantes, plaintives ou rageuses de Johann Christian Günther (1695-1723), étudiant vagabond, rejeté du monde. Le Pèlerin chérubinique d’Angelus Silesius (1624-1677), nourri des méditations mystiques du Moyen Âge finissant, est l’itinéraire spirituel d’une âme pure qui demeure loin des vicissitudes du siècle. C’est l’envers du Simplicissimus.


Le siècle des lumières

Cette époque a été d’abord celle des philosophes, qui ont arraché la spéculation à la domination des théologiens, qui ont commencé à faire de l’allemand la langue de la métaphysique, qui ont voulu aussi en tirer les principes d’une morale déiste bien accueillie par un public nouveau, celui de la bourgeoisie urbaine. La renaissance des villes, l’ascension de la bourgeoisie commerçante sont le phénomène majeur du xviiie s. allemand, surtout en pays protestant. C’est là qu’il faut situer la véritable Renaissance, qui avait tourné court au temps de la Réforme, mais qui s’affirme, à partir de 1750, dans deux grandes cités marchandes comme Hambourg et Leipzig ainsi que dans certaines résidences princières ; la plus illustre a été la capitale du roi de Prusse, Berlin, où s’installe dès 1700 l’Académie des sciences suscitée par Leibniz, et où Frédéric II de Prusse attire, après Voltaire, les publicistes de la « philosophie populaire ».

C’est aussi durant cette période que naît la critique littéraire en langue allemande avec Gottsched, Bodmer et surtout Lessing, le roman psychologique avec Gellert et Wieland, la poésie lyrique avec Klopstock après les « anacréontiques » d’Allemagne du Nord.

En 1748, la Messiade de Klopstock (1724-1803), récit de la vie du Messie en vers imités d’Homère, connut subitement une célébrité qui, dans toute l’Allemagne protestante du Nord, marque une résurrection de la poésie. Ce grand sujet avait été traité d’une manière pathétique et sensible qui répondait aux aspirations des âmes qu’on appelait « piétistes ». Ce courant était né d’une volonté de retrouver les sources du luthéranisme derrière les pratiques d’une Église déjà vieille de deux siècles : sentiment lyrique d’amour personnel pour le Sauveur, où les adeptes des cercles piétistes trouvent le seul vrai fondement de la foi. Porté par un véritable enthousiasme, Klopstock devint le héraut d’une nouvelle poésie en langue allemande et le resta plus de vingt ans. Il avait montré, le premier, qu’on pouvait être Allemand et en même temps poète. Ce fut une sorte de héros national.

Gotthold Ephraim Lessing* (1729-1781) mérite plus encore que Klopstock le nom de fondateur par l’action décisive qu’il a eue sur la scène et dans la critique. Il a commencé par le théâtre, où ses inspirateurs ont été anglais : Minna von Barnhelm (1767) est la première comédie allemande et elle demeure au répertoire ; Emilia Galotti est une tragédie bourgeoise et une protestation indignée contre l’arbitraire d’un despote ; Nathan le Sage, dernière pièce de Lessing, résume sa philosophie religieuse, qui est celle de la tolérance alliée à la foi dans l’avenir de l’humanité. Le testament philosophique de Lessing s’appelle l’Éducation du genre humain ; l’auteur a eu l’ambition d’y esquisser comme un nouvel Évangile. Il voulait en faire le principe d’une franc-maçonnerie humanitaire pour réunir, au-delà des nations et des races, tous les hommes de bonne volonté.