Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

élection (suite)

Entre les deux guerres mondiales, les Roumains avaient adopté un système mixte, majoritaire et proportionnaliste : le parti qui avait obtenu le plus grand nombre de voix (majorité relative) emportait la majorité des sièges, l’autre moitié étant répartie à la proportionnelle entre tous les partis, y compris le majoritaire ; cette solution — discréditée en fait par l’usage qu’en faisait un gouvernement plus ou moins dictatorial — permettait la constitution d’une majorité de gouvernement, effritait l’opposition et représentait celle-ci cependant. On pourrait sans doute imaginer un régime démocratique bicaméraliste dans lequel l’assemblée disposant du pouvoir de censure serait élue suivant un système assurant une prime à la majorité, la seconde assemblée, sans pouvoir de censure, étant élue suivant un système permettant le plus exact échantillonnage de l’opinion. Mais ce dernier objectif peut-il vraiment être atteint ?

Les systèmes proportionnalistes paraissent donner une photographie plus fidèle de l’opinion publique qui s’est exprimée en votant. Cette image est-elle, cependant, vraiment représentative de la mentalité politique de la nation ? Plusieurs observations ont été faites à ce sujet.

Tout d’abord on note l’importance du nombre des abstentionnistes. En France, près de 10 p. 100 des citoyens s’abstiennent de toute inscription sur les listes électorales, et, en moyenne, un électeur inscrit sur cinq ne vote pas aux élections générales, la proportion étant beaucoup plus grande encore aux élections partielles : dans de nombreux pays, notamment aux États-Unis, les abstentionnistes représentent généralement la moitié du corps électoral. Si l’on ajoute qu’avec le scrutin majoritaire une importante fraction des électeurs n’est pas représentée et qu’avec le système proportionnaliste les modalités le plus souvent adoptées interdisent toute représentation réelle aux tendances les plus faibles, on est bien obligé de constater qu’il existe une distorsion très nette entre la réalité politique d’une nation et l’échantillon d’opinions représentées finalement au Parlement. C’est ainsi qu’avec le scrutin majoritaire celui des deux grands partis britanniques qui avait obtenu le moins de voix sur l’ensemble du territoire a gagné les élections en 1929 et en 1951. En 1905, dans un rapport favorable à la représentation proportionnelle, Charles Benoist notait que 53 p. 100 des électeurs (minoritaires d’une part, abstentionnistes de l’autre) n’avaient pas eu de représentants à la Chambre des députés en 1898 et en 1902. Léon Duguit a pu calculer que la loi de séparation de l’Église et de l’État avait été votée en 1905 par 341 députés, représentant 2 647 315 électeurs, alors que le corps électoral en comptait alors 10 967 000.

Il faut encore constater que le déroulement d’une campagne électorale s’accompagne de pressions tant sur l’électeur que sur le candidat : pression des groupes d’intérêts professionnels, économiques et financiers ; pression des employeurs (c’est, aux yeux de certains observateurs, le cas en Turquie pour les ouvriers agricoles des grands domaines) ; influence de la presse et surtout, aujourd’hui, de la radio et de la télévision ; coût de la campagne elle-même, qui tend à s’élever régulièrement du fait du perfectionnement technique des moyens modernes de propagande, dont l’objet est de conditionner l’électeur. Les fraudes électorales, plus ou moins fréquentes suivant les pays et même suivant les régions, ne manquent pas non plus de fausser les résultats.


Le problème de la désignation des candidats à l’élection

De plus en plus, le législateur décourage les candidatures indépendantes, qui alourdissent le dépouillement, gênent les partis en place et accroissent les dépenses publiques lorsque l’État prend en charge tout ou partie du coût des diverses campagnes électorales, dans le dessein de mettre tous les partis en présence sur un pied d’égalité au moins relatif. À cet effet, le dépôt d’une candidature est subordonné à des conditions diverses : condition d’âge, nécessité de faire patronner la candidature par des notables (élection présidentielle française), versement préalable d’un cautionnement qui ne sera remboursé que si un certain nombre de suffrages ont été réunis, subordination du remboursement d’une partie des frais électoraux (France) ou du versement d’une subvention (Suède) à l’obtention d’un certain pourcentage de voix, usage de la radio et de la télévision réservé aux partis les plus importants (élections législatives en France), etc.

Dans certains pays, il y a candidature unique, mais il arrive que, dans des pays de l’Europe de l’Est, le mode de désignation du candidat unique restitue en fait une certaine possibilité de choix aux électeurs — tout au moins à ceux d’entre eux qui sont membres du « parti » —, le choix précédant ainsi l’élection. Dans les pays où il y a pluralité de partis, les candidats sont désignés par les membres des partis ou — assez souvent — par les dirigeants semi-professionnels de ceux-ci. Le système des élections primaires, pratiqué dans environ un tiers des États américains, aurait pu, semble-t-il, diminuer l’importance des comités des partis ; il ne semble pas y être parvenu. En fait, il s’agit presque partout d’une sorte de premier tour entre des candidats représentant une tendance donnée (ou une situation personnelle) au sein des « machines » (comités) des partis : le procédé est, en fait, susceptible d’influer d’une façon néfaste sur le choix des candidats, car il est toujours loisible à l’électeur d’un parti de participer à une élection primaire de l’autre parti, où il votera pour le moins dangereux, pour son propre parti, des candidats en présence.

Un certain courant s’était développé, au cours des années 1960, en vue d’instaurer en France un système semblable, mais les résultats des élections primaires américaines de 1968 ont mis en lumière le peu d’intérêt du procédé, puisque, selon les publicistes américains, l’électeur moyen aux élections présidentielles de 1968 a été mis dans l’obligation de se prononcer entre trois candidats dont aucun, en fait, ne lui convenait et dont deux d’entre eux avaient été imposés par les « machines » des partis sans qu’il ait été vraiment tenu compte des aspirations réelles de leurs adhérents et sympathisants.