Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

élection (suite)

Le tirage au sort

Dans le passé, le tirage au sort a été employé à diverses reprises et comme un moyen normal pour la désignation de gouvernants et de titulaires de certaines charges.

« Le tirage au sort a été inventé en des temps lointains où les hommes ne connaissaient pas de meilleur moyen pour faire désigner leurs chefs par leurs dieux. Il a été conservé par des générations plus récentes à qui le jugement de Dieu offrait l’avantage d’apaiser les sanglantes rivalités des grandes familles », écrit G. Glotz, qui, en analysant la haute Antiquité grecque, parvient aux mêmes conclusions, sur ce point, que Fustel de Coulanges.

À Athènes*, au moins depuis Solon, cette pratique archaïque se superposait à l’élection en ce qui concerne les fonctions autres que celles de membre de la boulê ; c’est ainsi que, pour la désignation des archontes, les tribus élisaient chacune 10 (puis 4) candidats qui étaient ensuite départagés par un tirage au sort. Mais, au milieu du ve s. av. J.-C., Clisthène substitue ce système à l’élection pour la quasi-totalité des fonctions. Aristote estime qu’il était normal à l’époque démocratique qu’un procédé égalitaire atteignît un grand développement, lui seul garantissant à chacun une chance d’accéder aux plus hautes fonctions dans la cité : on peut également penser qu’il y avait là une très nette réaction contre la corruption électorale. La boulê était alors l’organe suprême de la cité, car elle assurait le pouvoir gouvernemental ainsi que la préparation des décisions soumises au vote du peuple : elle comprenait 500 membres (50 pour chaque tribu). Pour participer au tirage au sort, il fallait être citoyen, avoir trente ans au moins, poser sa candidature et, sans doute — en fait —, avoir des revenus suffisants pour vivre, car l’indemnité versée — depuis Périclès — au « bouleute » pendant son année de mandat restait probablement inférieure à la perte réelle de revenus qu’impliquait l’exercice de fonctions apparemment très absorbantes. En outre, l’Athénien ainsi désigné par les dieux devait se soumettre à la « docimasie », c’est-à-dire à une sorte d’examen rétrospectif de sa vie au cours duquel toute faute personnelle (abandon de famille par exemple) ou civique (omission dans le paiement de l’impôt, dérobade devant les obligations militaires, etc.) pouvait être évoquée et amener le jury à refuser (au scrutin secret) la confirmation de cette désignation. La boulê était divisée en 10 prytanées de 50 membres, qui assuraient chacun, pendant tout un mois, un véritable gouvernement collégial de la cité ; chaque jour, un membre du prytanée de service était tiré au sort pour assurer la présidence de la boulê et de l’assemblée du peuple. On notera, cependant, que certaines fonctions d’un caractère particulièrement technique, telles que celles de stratèges, d’hipparques, d’ingénieurs ou d’architectes, n’étaient pas pourvues par voie de tirage au sort, mais par vote à main levée.

À Sparte, le tirage au sort déterminait l’ordre de présentation des candidats devant l’assemblée électorale de façon que les personnes chargées de mesurer l’importance des acclamations reçues par chacun d’eux ignorent vraiment de qui il s’agissait.

À Venise, à partir de 1268, c’est par une savante combinaison d’élections et de tirages au sort qu’est constituée la commission chargée de désigner le collège qui procède à l’élection d’un nouveau doge.

À Florence, l’imborsazione apparaît en 1323 pour déterminer l’ordre dans lequel les élus à certaines fonctions les exerceront ; en effet, la durée de chaque mandat variait de deux à six mois, et il n’était plus procédé à des élections que tous les quarante-deux mois, afin de réduire les pertes de temps provoquées par l’application des règles constitutionnelles, de supprimer l’agitation électorale pendant la plus grande partie de ces quarante-deux mois et enfin d’ouvrir l’accès des charges publiques à un plus grand nombre de personnes. Par ailleurs, le tirage au sort intervenait tous les deux mois pour la désignation du gonfalonier de justice ; chacune des trois classes sociales auxquelles des droits politiques étaient reconnus devait à tour de rôle fournir le gonfalonier de justice ; un premier tirage désignait le quartier dont les habitants voteraient, un second tirage désignant les six candidats entre lesquels l’élection se ferait (mais ce tirage était effectué après un tri préalable assez arbitraire entre les divers candidats).

À Genève, en 1782, on décida de procéder au tirage au sort annuel des 36 bourgeois adjoints aux 20 membres du Conseil général pour délibérer sur les éventuelles plaintes des Genevois relatives à l’inobservation de quelque loi ou règlement.

Dans les États modernes le tirage au sort n’a pas complètement disparu. Il n’est généralement employé que pour des objectifs secondaires (composition des bureaux des assemblées parlementaires, lettre initiale à partir de laquelle il est procédé à l’appel des parlementaires appelés à voter personnellement à la tribune, détermination des circonscriptions électorales dont les élus seront soumis à renouvellement partiel, etc.). Mais il était utilisé au cours du xixe s. pour le choix des jeunes gens appelés à l’armée ou soumis à une plus longue durée du service militaire. Il est encore pratiqué pour la constitution des jurys appelés à participer au jugement des crimes ; il est vrai que ce tirage a lieu en partant de listes préalablement établies par l’Administration et que le ministère public et la défense peuvent récuser un certain nombre de jurés.

Partant de cette idée que l’élection n’aboutit pas à la désignation des plus compétents ou des plus aptes à diriger l’État, mais plutôt à réaliser une sorte d’échantillonnage de l’opinion publique, certains publicistes contemporains ont plus ou moins consciemment suggéré qu’un meilleur résultat pourrait souvent être obtenu à moins de frais et avec moins de risques pour la paix publique par le tirage au sort des membres des assemblées.

Plusieurs auteurs de romans d’anticipation (on peut citer en particulier Philip K. Dick dans Solar Lottery [1955]) n’ont pas hésité à décrire des sociétés futures dans lesquelles le tirage au sort jouerait une fonction déterminante dans la désignation des gouvernants.