Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

élection (suite)

Les circonscriptions électorales peuvent coïncider avec des circonscriptions administratives : c’était le cas lorsque le nom de scrutin d’arrondissement fut donné au scrutin uninominal. Dans la mesure où l’on désire que la représentation politique du pays donne une vue fidèle de l’opinion publique, il convient de délimiter les circonscriptions en fonction de la densité de la population. Mais, en fait, la plupart des gouvernements qui président à la délimitation des circonscriptions électorales s’efforcent de composer celles-ci de la façon qui leur paraît la plus profitable au parti ou aux partis qui les soutiennent.

Si le territoire est divisé en de très nombreuses circonscriptions, on confie à chacune d’elles l’élection d’un seul représentant : c’est le scrutin uninominal. Si le territoire est divisé en un nombre plus réduit de circonscriptions, on confie à chacune d’elles l’élection de plusieurs représentants : on établit alors un scrutin plurinominal ou de liste.

• Le scrutin uninominal. Il y a scrutin uninominal lorsque la circonscription nomme un seul élu. Ce type de scrutin est appliqué en Grande-Bretagne, en Allemagne fédérale, aux États-Unis et en France (de 1820 à 1848, de 1852 à 1870, de 1875 à 1885, de 1889 à 1919, de 1928 à 1939 et depuis 1958). Il rapproche l’élu de l’électeur et semblerait, de ce fait, devoir permettre une meilleure appréciation par ce dernier des aptitudes et des mérites des candidats en présence ; il implique pour chaque citoyen qui s’en estime capable une plus grande facilité de se porter candidat, car la campagne électorale est d’autant moins coûteuse que la circonscription est plus réduite ; il assure à certains élus — qui « tiennent » bien leur circonscription — une plus grande indépendance en face des grands groupes de pression. En revanche, on peut lui reprocher d’inciter l’élu à faire primer le souci de sa réélection ou les intérêts de sa seule circonscription (plus exactement ceux des forces organisées les plus puissantes de celle-ci) sur le bien commun et de permettre la constitution de relations d’un type assez féodal entre l’élu et les électeurs, et surtout les notables de la circonscription. Il est plus facile enfin aux gouvernants de réaliser dans ce cadre un certain truquage électoral grâce à l’habile découpage de quelques circonscriptions.

• Le scrutin de liste. C’est un scrutin plurinominal, c’est-à-dire dans lequel l’électeur élit simultanément plusieurs représentants à une même assemblée ; la coutume adoptée par les candidats de se grouper par affinités en listes concurrentes lui a valu cette appellation de scrutin de liste sous laquelle il est connu. En France, le scrutin municipal, dans les petites communes, est plurinominal, mais les candidats peuvent se présenter isolément ou constituer des listes incomplètes : la liste n’est pas « bloquée ». Au Japon, à partir de 1900, les électeurs d’une même circonscription élisent plusieurs candidats, mais, modalité originale, chaque électeur ne peut voter que pour un seul candidat. (En 1946 on applique le scrutin de liste à un seul tour.) D’une manière générale, le scrutin de liste implique la présentation de listes comportant au moins autant de candidats qu’il y a de représentants à élire.

Il faut distinguer :
1o le panachage, qui permet à l’électeur d’établir lui-même sa propre liste en prenant des noms sur différentes listes de candidats (il y a ici un accent porté sur la sympathie personnelle, qui est censée constituer l’une des caractéristiques du scrutin uninominal) ;
2o le vote préférentiel, par lequel l’électeur exprime un ordre de préférence entre les candidats d’une même liste ;
3o le vote bloqué, qui interdit à l’électeur toute modification dans l’établissement des listes et dans l’ordre de présentation des candidats de chacune d’elles.

Le panachage et le vote préférentiel compliquent et alourdissent le dépouillement du scrutin. Ils peuvent permettre à un petit groupe d’électeurs de faire échec au chef d’un parti adverse ; c’est pourquoi il a été parfois prévu qu’il ne serait tenu compte des modifications de la composition ou de l’ordre de présentation des listes que si un nombre important d’électeurs usaient des possibilités qui leur étaient offertes : 50 p. 100 des suffrages obtenus par la liste intéressée selon la loi française du 9 mai 1951 (en fait, en 1951, seulement 7 p. 100 des bulletins ont été modifiés).

Le scrutin de liste renforce l’emprise des partis sur les élus. Avec blocage et associé au système majoritaire, il joue brutalement, refusant toute représentation aux électeurs des listes minoritaires alors même que la différence à leur égard se chiffre par quelques voix. Il incite ainsi, en fait, à le faire associer à la représentation proportionnelle, tendance paradoxale, puisque son principe essentiel est de favoriser la constitution d’une forte majorité, rarement possible, précisément, avec les systèmes proportionnalistes classiques. Lors de son rétablissement, en 1885, le scrutin de liste majoritaire départemental amena un succès de la droite au premier tour (176 sièges contre 127 à la gauche), un succès de la gauche au second tour et l’écrasement des partis du centre, pratiquement éliminés !

Au cours du xixe s. — sauf en 1889 après la crise boulangiste —, les partis français dits « républicains » ont défendu le scrutin de liste : d’abord parce qu’il rendait moins efficace la pression, sur les électeurs, des agents du gouvernement (maires désignés, sous-préfets, préfets) ; ensuite parce que, éloignant l’élu de l’électeur, il tendait à faire primer le coefficient « opinion » sur le coefficient « sympathie personnelle » ; enfin parce qu’il paraissait devoir permettre plus facilement la constitution d’une majorité républicaine dont les élus resteraient axés davantage sur les intérêts du parti — identifiés à ceux de la nation — que sur les intérêts des électeurs. Les deux derniers de ces arguments peuvent se retourner, à dire vrai, contre le scrutin de liste. Quant à l’argument souvent exprimé, notamment par Duguit, selon lequel le scrutin uninominal, en créant « des relations d’intimité entre électeur et député, fait de celui-ci le commissionnaire de ses électeurs et l’oblige à passer son temps dans les antichambres ministérielles », l’expérience a enseigné que le scrutin de liste n’assurait guère plus d’indépendance à l’élu.