Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

Eisenhower (Dwight David) (suite)

Au Moyen-Orient, Eisenhower n’hésite pas, lors de l’affaire de Suez (1956), à prendre parti avec l’U. R. S. S. contre l’intervention franco-anglaise. Quand il mesure le danger qui pourrait résulter de l’influence soviétique en Égypte, il en arrive à définir ce qu’on a appelé la doctrine Eisenhower, approuvée par le Congrès en mars 1957 ; celle-ci consiste à aider tout pays du Moyen-Orient menacé par l’U. R. S. S. et reçoit sa première application dans l’envoi de marines américains au Liban en 1958.

En Europe, Eisenhower, comptant sur son prestige personnel et sur les souvenirs de la victoire commune de 1945, espère reprendre contact avec Moscou. C’est ainsi qu’en pleine crise de Berlin il recevra Khrouchtchev à Camp David (Maryland) en 1959, mais la guerre froide durera jusqu’à la fin de son mandat, et l’affaire de l’avion américain U-2 abattu par les Soviétiques sur leur territoire fera échouer la conférence au sommet de mai 1960 à Paris.

S’il refuse toujours de se prêter à la politique d’une croisade armée contre le monde communiste, Eisenhower tient, surtout après le lancement du premier « Spoutnik » soviétique (oct. 1957), à donner une impulsion nouvelle à la politique de défense. Aussitôt, il accélère le programme des missiles intercontinentaux « Atlas », « Titan », « Minuteman », etc., qui traduit en stratégie nucléaire son attachement à la doctrine des représailles massives. Toutefois, c’est sous sa présidence qu’est mise en cause la supériorité stratégique incontestable dont avaient bénéficié les États-Unis depuis 1945. Cette mutation résultera aussi bien des progrès considérables du potentiel technique et militaire soviétique que des désirs d’indépendance vis-à-vis de la politique américaine manifestés dès 1959 par le général de Gaulle au sein de l’Alliance atlantique.

Novice en politique intérieure, Eisenhower s’adapte très vite à ses fonctions présidentielles et réussit à refaire l’unité d’un parti qui, après vingt ans de présidence démocrate, entendait bien se maintenir au pouvoir. Sa politique est surtout marquée par son intervention dans le problème noir, qui l’amène à faire voter les lois sur l’obligation de l’intégration scolaire et sur l’interdiction de toute discrimination raciale dans les affaires électorales.

Après l’achèvement de son deuxième mandat, Eisenhower accepte en 1961 la présidence de l’Encyclopedia americana et se consacre à la rédaction de ses souvenirs : Mandate for Change, the White House Years (1963) et Waging Peace, the White House Years 1956-1961 (1965) [traduits en français sous le titre Mes années à la Maison-Blanche]. Il avait publié en 1948 ses Mémoires de guerre (Crusade in Europe) et succédé en 1950 au général Pershing à l’Académie des sciences morales et politiques (Institut de France). Sa mort fut ressentie comme un deuil national par l’Amérique entière. Personnalité très équilibrée, d’un abord très simple, plus réfléchi qu’intuitif, celui qu’on appelait familièrement Ike était en apparence un homme ordinaire, mais, comme l’a souligné son vice-président Richard Nixon en prononçant son éloge, « il personnifiait ce que des millions de parents américains espèrent que leur fils deviendra : fort, courageux, honnête et généreux. ».

H. de N. et P. D.

➙ Atlantique Nord (traité de l’) / États-Unis / Guerre mondiale (Seconde) / Républicain (parti).

Eisenstein (Sergueï Mikhaïlovitch)

Metteur en scène de cinéma soviétique (Riga 1898 - Moscou 1948).


Immédiatement après la révolution russe de 1917, un vaste courant d’art nouveau s’est développé en Russie soviétique, rompant catégoriquement avec l’esthétique prérévolutionnaire. En ce qui concerne le cinéma, le changement n’a pas été immédiat. Ce n’est qu’après 1922 — au moment de la refonte des structures de la cinématographie entreprise sous l’impulsion de Lénine lui-même — que vont se dessiner des directions nouvelles. L’homme qui sera bientôt le plus important des cinéastes soviétiques s’appelle Sergueï Mikhaïlovitch Eisenstein.

Sa famille, bourgeoise — son père était un ingénieur attaché au port de la ville —, lui fait suivre un enseignement qui doit le conduire à la profession d’ingénieur. Il reçoit une éducation religieuse contre laquelle il se dressera plus tard, mais qui imprimera en lui un sens du rituel, du « grand spectacle » dont on retrouvera la marque dans nombre de ses films, notamment le dernier, Ivan le Terrible (Ivan groznyï). Passionné par les arts, le jeune Eisenstein va infléchir vers l’architecture le cours de ses études. Mais celles-ci sont interrompues par la guerre civile. À vingt ans, Eisenstein s’engage dans l’armée rouge. Une fois démobilisé, il vient à Moscou, où il est décorateur de théâtre au Proletkoult (organisation culturelle prolétarienne). Le hasard veut qu’il participe en 1920 à la mise en scène d’une pièce, le Mexicain (Meksikanets), d’après Jack London. Cette expérience est décisive. Elle permet à Eisenstein de tracer les premières lignes théoriques de ce que sera plus tard son esthétique du montage. Dans le même temps, Eisenstein subit d’importantes influences. L’une des plus marquantes est celle de Vsevolod Meyerhold (1874-1942), qui exerce une grande fascination sur les gens de théâtre. Eisenstein apprend de lui au GVIRM (Institut national supérieur des régisseurs) à privilégier la mise en scène. C’est à cette époque qu’il étudie avec passion l’une des formes du théâtre japonais, le kabuki. Les premières recherches d’Eisenstein portent sur une certaine façon de briser par la mise en scène la linéarité traditionnelle du récit théâtral en juxtaposant des éléments apparemment disparates, mais qui concourent tous à valoriser une même « idée » et à en renforcer l’expression. Il est à peu près certain qu’Eisenstein voit dans cette période les films de D. W. Griffith — et surtout Intolérance —, qui le confirment dans cette direction. Il résume ses premiers travaux théoriques dans un article capital publié par Maïakovski dans sa revue Lef, « Montage-Attraction » (« Montaj attraktsionov », mai 1923). En ces mêmes années 1922-23, les grandes tendances du nouveau cinéma soviétique sont représentées par des courants très divers quant à leurs apparences, mais dont les buts sont identiques : servir la révolution. Le plus important de tous semble aux antipodes de celui que suit Eisenstein : Dziga Vertov, inventeur du « cinéma-œil », est partisan d’un cinéma « non joué », « explorant des faits vivants », fouillant la réalité, mais ne la restituant qu’à la faveur d’un montage qui lui donne son vrai sens. C’est au montage justement qu’Eisenstein accordera la plus grande importance. Pour bien comprendre le sens de l’œuvre, il faut s’attarder un instant à la théorie qui la sous-tend : le montage-attraction. Pour Eisenstein la juxtaposition de deux images — deux plans — d’un même film peut être conçue de manière à déclencher une sorte de choc. C’est ce choc qui servira à révéler, puis à éclairer une idée, un symbole précis. Dans son premier film, la Grève (Statchka, 1924), Eisenstein rapproche des termes aussi apparemment différents que l’image d’un bœuf que l’on égorge à l’abattoir et celle d’un groupe d’ouvriers grévistes pris sous le feu des soldats tsaristes. Par la violence de leur rapprochement, la signification est évidente. « Si le montage peut être comparé à quelque chose, les collisions successives d’un ensemble de plans peuvent être comparées à une série d’explosions dans un moteur d’automobile. Comme celles-ci impriment le mouvement à la machine, le dynamisme du montage donne l’impulsion du film et le conduit à sa finalité expressive » (S. M. Eisenstein).