Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

Égypte (suite)

Du reste, la conjoncture internationale lui est très favorable. Outre la solidarité de plusieurs pays du tiers monde avec l’Égypte, la Syrie et l’Arabie Saoudite coupent le pétrole à la France et à la Grande-Bretagne, l’Inde envisage de quitter le Commonwealth, les deux supergrands marquent leur opposition à l’agression tripartite. L’U. R. S. S. envoie même un ultimatum à chacun des pays agresseurs, les sommant de se retirer, et les États-Unis, voulant éviter un conflit mondial et préserver leur avenir au Moyen-Orient, avertissent leurs alliés du pacte Atlantique qu’ils n’interviendront pas automatiquement en cas de riposte soviétique. Isolés, la France, l’Angleterre et Israël se retirent (22 déc.). La nationalisation du canal devient effective, et l’Égypte peut, le 23 décembre 1956, célébrer la « fête de la victoire ».

L’affaire de Suez va avoir d’immenses répercussions sur la politique égyptienne.

Sur le plan intérieur, elle permet au gouvernement de nationaliser les biens des étrangers en Égypte. L’économie du pays — dominée par les étrangers, qui contrôlent presque toute l’industrie, les assurances et les banques — passe entre des mains égyptiennes, et les plus-values provenant de la nationalisation des entreprises étrangères et du canal favorisent une politique d’industrialisation.

Sur le plan extérieur, l’affaire de Suez accroît le prestige de l’Égypte et de son chef, Nasser, dans le tiers monde et particulièrement dans les pays arabes. Le gouvernement égyptien ne reste pas indifférent à l’immense courant de solidarité émanant du monde arabe. Il va dès lors s’engager ouvertement dans une politique panarabe. Le nationalisme arabe devient l’idéologie officielle de l’Égypte, et l’unité arabe l’objectif du régime nassérien.

Cette idéologie ne rencontre pas de larges échos auprès des masses populaires et de la bourgeoisie foncière de l’Égypte. Elle est néanmoins encouragée par la bourgeoisie industrielle, qui voit dans le monde arabe un débouché idéal pour ses produits fabriqués. C’est d’ailleurs cette bourgeoisie qui, au début de 1958, pousse le gouvernement à accepter l’unité avec la Syrie. Le 1er février 1958, la République arabe unie est proclamée. Et, le 21 février, un référendum organisé simultanément en Égypte et en Syrie confirme l’unité et élit Nasser à la présidence du nouvel État. Mais cette entreprise, mal préparée et qui ne tient pas compte de la situation spécifique de chacun des deux pays, ne tarde pas à avorter. Le 28 septembre 1961, un coup d’État organisé en Syrie met fin à l’unité syro-égyptienne. L’Égypte reconnaît le fait accompli, mais n’abandonne pas pour autant sa politique panarabe. Elle conserve le nom de République arabe unie et continue à appuyer les mouvements de libération arabes. En 1962, elle s’engage aux côtés des républicains du Yémen pour les aider, avec l’appui de l’Union soviétique, contre les monarchistes, soutenus par l’Arabie Saoudite et la Grande-Bretagne.

Parallèlement, l’affaire de Suez amène l’Égypte à adopter une politique interventionniste en matière économique. La bourgeoisie égyptienne, qui profite de la nationalisation des entreprises étrangères, ne tarde pas à révéler son incapacité à développer le revenu national du pays. Or, pour mettre fin à une différenciation sociale de plus en plus grande, pallier le danger d’une démographie galopante et éviter les risques d’une explosion sociale, l’État se propose de doubler en dix ans (1959-1969) le revenu national. Pour cela, le gouvernement prend en main la direction économique du pays. En février 1960, la National Bank of Egypt et la banque Miṣr sont nationalisées. L’année suivante, le secteur privé est durement touché. Le gouvernement s’engage dans une politique de réformes sociales pour consolider le régime. En 1961, une deuxième « réforme agraire » réduit de moitié le droit de propriété fixé en 1952 à 200 feddāns (84 ha). Les actions dans les sociétés anonymes sont limitées à dix millions d’anciens francs. Et 25 p. 100 des bénéfices des sociétés et entreprises privées doivent revenir aux ouvriers. À la fin de 1962, l’État prend en main les banques, les assurances et plus de cinquante grandes sociétés.

Pour assurer le succès de cette politique, le gouvernement préconise la mobilisation des masses populaires. Il crée à cette fin, en 1962, un nouveau parti, l’Union socialiste arabe, qui, après le Rassemblement de la libération et l’Union nationale, se donne comme objectif la prise de conscience du peuple égyptien sur la base d’une Charte d’action nationale soulignant la nécessité d’une solution socialiste aux problèmes égyptiens.

Ce socialisme, baptisé « nassérien », rejette l’athéisme et la collectivisation et préconise le développement de la petite propriété. Son but est de réduire la différenciation sociale et d’assurer le développement économique du pays.

Toutefois, deux grands obstacles s’opposent à la réalisation de ces objectifs : une augmentation de la population de près de un million par an et une tension permanente avec Israël qui l’oblige à consacrer une bonne partie du revenu national à la défense du pays. L’Égypte est en guerre avec Israël depuis 1947, date de la fondation de cet État. Pour le gouvernement égyptien, issu du coup d’État de 1952, la création d’Israël comporte une injustice à l’égard du peuple palestinien et un danger pour les pays arabes limitrophes. Et le rôle joué par l’État hébreu au moment de l’affaire de Suez l’a confirmé dans ses convictions. Au demeurant, le nationalisme arabe duquel il se réclame lui assigne la protection des peuples arabes.

En 1967, la tension monte entre Israël et la Syrie, dont le gouvernement issu du coup d’État de février 1966 ne cache pas sa volonté d’aider le peuple palestinien dans sa lutte contre l’État sioniste. Le 8 avril 1967, une bataille aérienne oppose l’aviation syrienne à celle d’Israël dans le ciel de Damas. Un mois plus tard, le 8 mai, l’Égypte est saisie par la Syrie, à laquelle elle est liée depuis novembre 1966 par un accord de défense commune, des craintes d’une attaque israélienne. Le gouvernement égyptien ne peut pas rester indifférent à l’appel de Damas sans se discréditer devant l’opinion publique arabe, d’autant plus que ses adversaires politiques lui reprochent sa mauvaise volonté de secourir les États arabes soumis aux attaques d’Israël.